À l’occasion de la transplantation cardiaque qu’il a dû subir, Jean-Luc Nancy réfléchit à l’existence d’un intrus, d’un étranger en soi-même.
« L’intrus s’introduit de force, par surprise ou par ruse, en tout cas sans droit ni sans avoir été admis », « S’il reste étranger au lieu de simplement se « naturaliser », sa venue ne cesse pas. »
L’intrus est un dérangement, un trouble dans l’intimité qui, en l’occurrence, s’introduit à l’occasion de la maladie. Le cœur défaillant, la suspension du continuum d’être, la transplantation cardiaque elle-même, le suivi médical qui s’impose, les restrictions dans le mode de vie, les pathologies liées au traitement, notamment immunitaires responsables de rejet ou d’infections, les multiples pathologies liées aux effets secondaires négatifs des médicaments, sont responsables d’« étrangèreté » chez l’hôte.
Finalement, se produit une continuité dans les intrusions, du fait des contrôles, surveillances, thérapeutiques, manifestations cliniques des symptômes au premier rang desquels la douleur.
La notion d’identité est mise en cause. L’étrangèreté est double, il y a celle qui vient de l’autre en soi, et finalement celle de soi à soi-même. « L’intrus est en moi et je deviens étranger à moi-même », un androïde de science-fiction ou un mort-vivant, écrivait-il, en référence à l’expérience traversée.
Mais le sentiment d’étrangeté est inhérent à la nature humaine, puisque l’homme devient ce qu’il est, s’altère, à la fois s’aiguise et s’épuise, il est intrus dans le monde aussi bien qu’en lui-même. En effet, quelques après la rédaction de ce texte, Jean-Luc Nancy ajoutait un post-scriptum et terminait sur la perception de n’avoir plus un intrus en lui, mais de l’être devenu, il s’agit là de la conscience de sa propre contingence, source d’une « joie singulière ».
Dans ce livre très émouvant, le thème de l’intrusion et de la perception d’étranger en soi conduit à une réflexion sur la nature du Je et sur la notion d’identité laquelle concerne évidemment la réflexion psychanalytique.