Depuis la première édition de cet ouvrage collectif sur les institutions en 1989, de nouveaux champs de recherche ont émergé dans ce domaine : le but de la présente édition est d’en faire le point.
Un aperçu historique montre que Freud n’a pas vraiment théorisé la pratique institutionnelle mais en a cependant indiqué la voie. La base de réflexion sur les institutions est le fait que la vie psychique individuelle et institutionnelle sont en perpétuelle interaction. Néanmoins de nos jours, il n’existe pas encore de moyens nécessaires à l’établissement d’une théorie psychanalytique de l’institution. Trois ordres de difficultés rendent difficiles à penser l’institution ; les fondements narcissiques et objectaux des personnes dans l’institution ; l’irreprésentable externalisé ; l’institution comme système de lien dont le travail collectif du penser est une fonction capitale afin de fournir des représentations communes et des matrices identificatoires permettant l’accès à la symbolisation. L’élaboration d’un statut n’est pas sans quelque difficulté. Cela tient au fait que l’institution est une formation de la société et de la culture. Elle est préexistante à l’individu. Il est important de distinguer dans ce contexte, d’une part, entre instituant et institué renvoyant à l’imaginaire individuel qui préside à toute organisation, et l’imaginaire social à la source de l’institution et à la base de l’aliénation, et, d’autre part, entre institution et organisation.
L’institution réalise des fonctions psychiques multiples pour les individus dans un rapport réciproque. L’institution a à la fois un rôle de structuration et de réceptacle de l’indifférencié. Une autre caractéristique de l’institution est son espace psychique propre faisant intervenir l’appareil psychique groupal en rapport avec l’idéal du Moi.
Les formations intermédiaires entre l’espace psychique individuel et celui du groupement dans l’institution n’appartiennent ni au sujet ni au groupement, mais à leur relation dotée de réciprocité. Toute faille dans ces formations intermédiaires entraine une dissolution dans ces relations entres les espaces psychiques. Le groupement permet à la fois l’accomplissement du désir et la défense contre le désir en faisant intervenir le mécanisme d’identification. Pour assurer ses fonctions l’institution doit être stable ; pour l’inconscient, elle est même immortelle et sous-tendue par le narcissisme, lui-même à la base du mythe fondateur.
Une dernière caractéristique est le pacte dénégatif destiné à écarter tout ce qui va à l’encontre du lien. La structure psychique inconsciente maintient ensemble les sujets de l’institution.
Ces éléments permettent de comprendre la souffrance et la psychopathologie dans les institutions, liées au fait institutionnel, à la particularité d’une institution et enfin au sujet singulier. Les institutions possèdent des mécanismes de défenses en appui à ceux du sujet singulier afin d’éviter toute souffrance qui peut être liée à l’inextricable, au syncrétisme et à l’indifférencié. La souffrance institutionnelle peut être associée à un trouble de la fondation, aux entraves à la réalisation de la tâche primaire et à l’instauration ainsi qu’au maintien de l’espace psychique.
Dans tout groupe, il existe une non-relation qui est son fondement ce que J. Bleger appelle la sociabilité syncrétique. L’identité d’un groupe dépend de la structure et de l’intégration du moi groupal, à l’origine des strates syncrétiques, qui permettent par les mécanismes de clivages l’organisation appuyée sur des aspects plus intégrés du groupe. Les crises dans le groupe sont dues à la rupture de ce clivage.
Les institutions sont centrées sur les rapports humains et se réfèrent à l’altérité. Elles sont la base de la civilisation. Cependant, le travail de mort s’infiltre dans l’institution quand l’indifférenciation et l’homogénéisation s’immiscent dans les liens entre les membres. Un autre versant est la violence fondatrice de l’institution c.à.d les conditions de la naissance reposant sur une faute commune. Une fois instituée, d’autres mécanismes se mettent en place comme par exemple la projection, l’attaque contre les liens etc. Toute institution repose sur des mythes unificateurs permettant la vie de celle-ci et donnant sens à leurs pratiques, mais aussi sur des systèmes imaginaires. Si l’emprise de l’institution sur ses membres est totale la mort triomphe. Le travail de la mort oblige aussi l’institution à identifier ses problèmes et à les surmonter.
Dans une institution thérapeutique, et plus particulièrement une institution de soins, les positions entre individus sont asymétriques. Les soignants autant que les soignés sont traversés par la pulsion de mort. Les soignants de la sphère psychique révèlent un certain nombre de caractéristiques qui portent en eux le risque d’être antithérapeutique, exprimant le côté mortifère. A ceci s’ajoute le fonctionnement institutionnel qui contribue au déploiement du travail de la mort. Dans l’institution, la pulsion de vie peut entraver la reconnaissance de l’altérité oeuvrant ainsi au service de la pulsion de mort.
D’un point de vue freudien, les institutions sociales sont destinées à contrôler à la fois les angoisses dépressives et persécutives en remplissant une fonction spatio-temporelle. Tandis que Bion part de trois hypothèses de base : hypothèse de groupe dépendance, hypothèse de groupe attaque-fuite et hypothèse de groupe couplage. Pour Jaques, un mécanisme culturel, institutionnalisé, sert de défense contre les angoisses inconscientes, indépendamment de sa signification réelle expliquant la résistance au changement.
La famille est un cas particulier d’institution dont l’angoisse sous-jacente se dirige envers l’enfant à naître. Elle peut être considérée comme l’institution originelle.
Les mécanismes schizo-paranoïdes seraient à l’origine de la constitution des classes sociales comme institutions sociales.
Une institution se compose de trois étages : une superstructure, une infrastructure et une zone intermédiaire « idéologico-théorique ». Les fantasmes originaires, qui ont une fonction d’organisation, peuvent devenir désorganisateurs dans certaines circonstances. La réorganisation des restes non-mentalisés nécessite la création d’un nouveau cadre et des réunions d’analyse. Les espaces intersticiels sont d’un intérêt particulier, définis comme des lieux communs et de passage de tous où s’opèrent la régulation de tensions et de remise à niveau psychique de manière spontanée.
Au total, les auteurs se basent essentiellement sur les travaux de Bion, de Winnicott, de Klein et d’Anzieu. Ils mettent en évidence comment les fantasmes inconscients structurent le groupe de par les mécanismes de défenses des stades schizo-paranoïde et dépressifs. Cet ouvrage apporte aussi une compréhension de la souffrance au travail, si fréquemment rencontrée de nos jours, même si ce sujet n’est pas traité de façon explicite.
(Rénate Eiber, juin 2022)