L’insidieuse malfaisance du père, Paris, éditions Odile Jacob, 2013, 205 pages - ISBN 978-2-7381-2957-4
Ce livre de Danièle Brun, psychanalyste membre d’Espace analytique présidente de la société Médecine et psychanalyse et professeur émérite de l’université Paris-Diderot, continue son exploration des imagos parentales et de leurs effets indésirables. Dans Mères majuscules (éditions O. Jacob, 2011), elle évoquait une mère associée à un être-mère idéal, mais portant la nostalgie d’un autre enfant auquel le sien ne correspond pas, mère à la fois omniprésente et insaisissable.
L’insidieuse malfaisance du père explore cette fois les traces laissées par le père dans la psyché. Elles sont malfaisantes non du fait d’une quelconque maltraitance, mais au contraire, dans la mesure où il est extrêmement difficile de se défaire de l’idéalisation initiale du père. C’est cette désidéalisation impossible qu’analyse Danièle Brun, si ancrée que la malfaisance est active au-delà de ce qui en est consciemment perçu, et reste insidieuse, puisqu’elle prend principalement la forme de l’attachement indéfectible. L’histoire du père avant sa paternité a laissé des stigmates que lui-même a préféré enterrer ou oublier. A la place s’instaure une image de héros potentiel à laquelle chacun se rallie pour son confort et dont l’impact est d’une puissance ravageuse. Etre fils ou fille d’un père introduit le trouble, l’oscillation entre la Majesté du père « ce héros au sourire si doux… » et son insidieuse malfaisance qui échappe à la saisie concrète. Le livre, réagissant à la tendance filiale de Freud d’innocenter tous les pères, veut être un apport à la compréhension de l’influence du père et de l’impact des identifications qu’il transmet.
Trop belle et trop consensuelle, l’image du héros tient lieu d’écran et de leurre pour éviter les représentations se rapportant à la sexualité cachée du père. Que cette sexualité soit ou non moralement critiquable, ce sont ses investissements personnels intimes qui font l’objet d’un impensé radical. Le livre déploie cette interrogation en prenant appui sur de multiples moments de cure, mais aussi sur le livre de Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, où la quête de compréhension du suicide de la mère mène à désidéaliser le grand-père maternel. Ferenczi, bien sûr, mais aussi Henri Bauchau et Kafka sont évoqués. « Père, ne vois-tu pas que je brûle ? » Cette interrogation pressante, enflammée, du rêve liminaire du chapitre VII de l’Interprétation du rêve accompagne tout le livre et sa fiévreuse quête œdipienne. Les appels en absence, la pauvreté du père, ses blessures intimes et sa sexualité marquent la transformation de l’amour du père, mais sa figure en majesté conserve une survivance ; l’isidieuse malfaisance du père reste part intégrante des identifications qu’il transmet, de l’idéalisation qu’il incarne et de l’homme qu’il est au quotidien