La maison familiale représente un lieu singulier de confort et de sécurité permettant le rêve ; famille et maison sont ainsi presque synonymes. La maison doit être solide, étanche pour nous rassurer en délimitant un espace intime, et elle doit en même temps être souple et ouverte pour nous inciter à développer nos activités sans nous couper du monde.
C'est dans cette perspective qu'Alberto Eiguer nous propose une réflexion psychanalytique sur la maison familiale et les dynamiques inconscientes que nous faisons jouer pour l'habiter. Une première partie, consacrée au "corps de la maison", prend appui sur la projection de notre image du corps sur notre habitat ; inversement nous introjectons notre espace habitable. Ces deux mouvements concourent à la construction de la notion d'habitat intérieur. Dans une perspective psychanalytique, le centre vital de la maison est la chambre des parents, d'où rayonnent les autres investissements. L'analyse de la distribution des pièces, et de la circulation de l'une à l'autre est ainsi souvent psychiquement significative. Il faut en effet prendre en compte la dimension groupale de la famille. Le corps et le groupe sont ainsi les organisateurs de la maison, permettant la représentation inconsciente de la maison que l'on peut désigner comme habitat intérieur, investi d'affects, porteur des enveloppes psychiques du groupe familial comme de sa mémoire dont les objets conservés portent souvent la trace.
L'habitat intérieur remplit cinq fonctions : de contenance, d'identification, de continuité historique, de création et d'esthétique, fonctions qui se substituent l'une à l'autre en cas de défaillance. Autour de l'intimité familiale, la maison permet ainsi d'élargir le champ de ce que l'on peut considérer comme psychique, dans la mesure où elle fait l'objet d'une appropriation ; elle donne aussi à voir les dysfonctionnements et les dénis notamment ceux de la séparation. Objets et meubles se prêtent aux jeux de la possession et de l'exposition, et sont investis d'affects bien au-delà de leur utilisation.
La suite de l'ouvrage envisage des situations plus particulières, autour de l'idée des aménagements permettant l'appropriation (2° partie) et de l'élaboration des liens de famille (3° partie). Construire et réparer sa maison permet de décrire le mode d'appropriation des bricoleurs, l'héritage retisse les liens de filiation et inscrit dans la transmission, les déménagements sont révélateurs des dépendances et représentent une épreuve, à moins d'une psychopathologie dans laquelle, au contraire, c'est la filiation et l'attachement qui sont difficiles. La perte de son logis est un traumatisme et conduit à une distorsion ou à une perte des liens de parenté. Les deux derniers chapitres examinent la fonction de la résidence dans les blessures de la filiation et leurs cicatrisations (adoption, placement d'enfants, déconstruction-reconstruction des liens conjugal et filial), comme dans la constitution des couples, leurs crises ou dans la constitution d'un nouveau couple.
Quand tout va bien, les dynamiques inconscientes jouent leur rôle sans qu'on y prenne garde. Les thérapies familiales (source de nombreuses vignettes cliniques au fil de ces pages) nous obligent à regarder de plus près, sans peur, notre attachement à la maison familiale, car il fait partie de notre identité.