Cette synthèse, claire et argumentée, soucieuse de déjouer la confusion des registres sans céder ni à un point de vue psychanalytique réducteur (oubliant par exemple l'anthropologie ou le droit), ni à une méconnaissance de l'inconscient, vise à préciser de quoi on parle lorsqu'il s'agit d'inceste. Quels sont les liens entre les interdits culturels plus ou moins explicites et les interdits intériorisés, inconscients et constitutifs de la complexité du psychisme ? Il convient de décliner le terme d'inceste au pluriel, pour ne pas assimiler fantasmes inconscients et actes criminels, relations symboliquement associées à des relations incestueuses et agirs sexuels commis contre des enfants par leurs parents proches.
Le premier chapitre s'attache aux faits incestueux et à la souffrance qu'ils génèrent. Il montre l'ampleur du problème dans sa dimension sociale, les transformations de la sensibilité collective à l'égard des maltraitances envers les enfants, l'évolution des lois et la position actuelle du Code pénal. Un paragraphe rend compte de la confusion qui a pu s'introduire entre fantasmes et réalités dans certains usages de l'hypnose, notamment aux Etats-Unis.
Un deuxième chapitre examine les mythes et les interdits traditionnels de l'inceste ainsi que les interprétations anthropologiques de l'universalité de l'interdit (Claude Lévi Strauss ; Françoise Héritier). Un regard sur Totem et tabou, ainsi qu'une réflexion sur la notion d'ordre symbolique permettent d'étudier les rapports entre anthropologie et psychanalyse. C'est à la théorie freudienne de la problématique incestueuse qu'est consacré le troisième chapitre, autour de la notion de fantasme et de celle de séduction. Fantasmes originaires, sexualité infantile, traumas et défenses aident à penser sans simplisme la complexité de l'Œdipe.
La psychanalyse des agirs incestueux constitue le chapitre quatre et s'organise en trois parties : premièrement, les questions psychopathologiques posées par les auteurs d'inceste amènent à souligner la diversité de leurs organisations psychopathologiques, le déni des différences, les formes destructrices de pathologie narcissique, la clinique de l'indifférenciation et le rôle des défaillances de la symbolisation dans ces agirs ; deuxièmement, les incestes fraternels peuvent apparaître comme le prolongement de jeux infantiles, mais la différence d'âge n'est pas le seul critère de l'impact traumatique ; la fragilité narcissique dans la recherche de relations en miroir et les déplacements sur les protagonistes de configurations œdipiennes sont habituelles. Enfin, du côté des victimes, des récits cliniques viennent illustrer les enjeux destructeurs des incestes paternels et des incestes maternels ; ces derniers sont rares sous forme d'actes génitaux caractérisés mais des formes insidieuses peuvent être pernicieuses. L'auteur étudie les difficultés de la rencontre avec l'enfant qui a subi un inceste et réfléchit aux relations entre le traumatisme et la destructuration psychique qu'il peut provoquer, du fait de la rencontre folle entre ce qui devrait rester inconscient et ce qui vient se mettre en acte, dans une collusion entre l'extérieur et la vie fantasmatique qui attaque les limites et met à mort la possibilité d'un Œdipe organisateur.
Centré sur les séductions maternelles, le dernier chapitre montre comment les confusions incestueuses peuvent exister sans passage à l'acte caractérisé et les ravages de l'incestuel. Il travaille à faire apparaître l'écart entre la première séduction maternenlle nécessaire, agent de la constitution du psychisme, et les séductions abusives et interdites, avec leur potentiel destructeur. Le «non» de la mère, posant au bon moment les interdits du toucher, est ici essentiel. L'auteur peut ainsi soutenir la thèse que l'inceste agi est le contraire de l'Œdipe, sans la radicaliser ni la pétrifier.