Vingt-six textes attendris ou méditatifs, réflexifs aussi, qui jalonnent la pratique d'un analyste attentif et rêveur à la fois. Dans la séance parfois, mais dans la vie surtout, au début, “ il n'y en a qu'un qui parle parce que l'autre ne comprend pas ”, selon le mot de l'une des patientes évoquées. Peut-être est-ce cela la clé : ne pas comprendre trop vite, prendre le temps de voir s'engendrer les formes de la vie psychique. “ Les choses arrivent plutôt quand le plus ordinaire, le plus simple devient le plus étranger. ” (p. 11).
L'analyse est une œuvre de désinterprétation d'un langage apparemment commun, car il s'agit d'apprendre à parler, d'apprendre à la langue à parler de soi, et pour cela de défaire les arrangements préalables et les aprioris de sa communauté. Se refuser à savoir, ce qui n'est jamais acquis une fois pour toutes, telle est l'instauration essentielle qui constitue l'analyste car c'est une condition de l'attention flottante. La règle de tout dire permet l'idée incidente ; elle est un appel à la déliaison, à la défaite, dans le langage, de son logos. Les questions techniques (comme la différence des rythmes entre la psychanalyse anglaise et les pratiques françaises, holding maternel ou symbolisation paternelle) sont évaluées à cette aune.
La confiance du fils qui saute dans les bras d'un père qui n'a jamais connu un pareil abandon contraste avec le désert de l'indifférence subie par cette enfant qu'on ne voyait pas et qu'un regard sur son piano – le seul “ être ” familier – a retenue de se jeter par la fenêtre. La considération des charmes et des limites du gynécée, la question de savoir “ quelle complication supplémentaire naît du fait d'être fille ”, la relecture de Lou Salomé — “ Anal et Sexuel ” avec sa réflexion sur le cloaque — témoignent de la poursuite de la réflexion de l'auteur sur la sexualité féminine (Aux origines de la sexualité féminine est actuellement réédité en collection de poche). On retrouve sans étonnement, mais très clairement exposée, l'aptitude de la féminité à représenter (non à signifier) la “ forme passive ” et sa potentialité de liberté.
Les notations sont multiples, qui retiennent la pensée. Si le rêve ou plutôt le rêver marque de son empreinte le dispositif de la cure, il peut y avoir des rêves dans une cure sans que le rêve n'y advienne. Dans l'angoisse de séparation, ce n'est pas la séparation qui est angoissante, c'est son impossibilité. Loin de seulement symboliser, le fantasme agit, dans l'excès de sa présence. L'objet perdu alimente la nostalgie, pour la vie. Les thèmes sont essentiels ou anecdotiques : le “ congélateur excitable ”, l'énigme du regard et de la représentation, les temps et les modes de la conjugaison, le besoin et la détresse, le toucher et la figurabilité, l'adresse à l'autre : la matière, l'espace, le temps, le vivant, la parole font l'objet de cette attention cultivée, intense et détachée qui donne à ce livre attachant sa tonalité inimitable.