Ce numéro des libres cahiers s’appuie sur le texte de Freud de 1921 : « Psychologie des foules et analyse du moi ». Sans surprise l’identification en est un des principaux fils conducteurs.
La figure du père préhistorique, support selon Freud des identifications premières et source de l’idéal du moi, élève l’héritage et la transmission au rang de processus, nous dit Henry NORMAND, à condition qu’elle puisse transiter par une psyché maternelle maintenue en tension entre sa sexualité infantile et ses idéaux surmoïques.
C’est le sentiment de la culpabilité qui se perpétue (c’est le cas de le dire puisqu’elle s’appuie sur le fantasme du meurtre du père). Néanmoins, distinguant ici la foule de la masse, Françoise COBLENCE s’interroge sur l’angoisse de dépersonnalisation et de désindividuation qui saisit le sujet au sein de la foule. La foule, irrationnelle et imprévisible, se fait meute lorsqu’elle est orientée tandis que sa désagrégation est la panique. L’homogénéité de la masse lui confère une densité dont la foule est dépourvue, elle s’organise à travers l’identification. Si la masse est libidinalement structurée en direction du meneur, à l’inverse, le désir de fusion perceptible dans la foule et les transformations qu’elle fait subir à l’individu laissent entrevoir la force d’attraction d’une puissance maternelle archaïque que l’insistance de Freud sur la foule avec meneur lui paraît occulter.
A partir du roman de J.M. Coetze : Disgrâce, Françoise NEAU évoque un type particulier de masse dite « maniaque » qui n’est pas sans évoquer les anciennes liturgies bachiques, tandis que Bruno CHENIQUE suit l’évolution de la masse chez Géricault. A l’épouvante de la foule éventrée par des chevaux en furie lors d’une fête romaine, répond le déchaînement de la tarentelle, cette danse de la transe collective du sud de l’Italie. Précoce opposant à Bonaparte, Géricault prépare, à la restauration, un curieux tableau commémoratif où la foule est tournée vers un Louis XVIII en anti-héros, obèse et infirme. En 1919 le roi, masqué derrière la figure d’un garde suisse humilié, ne peut plus faire face aux revendications de la horde des fils, tandis que dans Le radeau de la méduse le père et son fils mort forment une « Pietà inversée ». Ce sont les fils qui sont tués par leurs pères dans un renversement typique du romantisme où s’exprime, après l’ogre corse et le vieux roi impotent, l’espoir d’une renaissance « à partir du sacrifice sanglant de sa génération ».
Pour Beatrice CARNEIRO DOS SANTOS l’identification au meneur de la masse prend valeur défensive par opposition à l’identification par l’objet de l’économie narcissique. La polyphonie des voix qui habite le sentiment d’identité se recentre sur la seule identification primaire pensée par Freud comme liée au père de la préhistoire. Geraud MANHES précise que si la construction de l’identité est corrélative de la participation aux idéaux du groupe, à l’inverse, l’unification au collectif contredit tout processus d’identité. C’est le principe même d’identité, nous rappelle Laurence KAHN, qui vole en éclats lorsque la masse s’organise en totalitarisme, y compris le plus radical, tel qu’expérimenté par la Shoah. Une autre radicalité se dessine aujourd’hui à travers les ambigüités juridiques de la notion de dignité humaine dont Jean Michel HIRT souligne qu’en affirmant le principe d’une autonomie personnelle qui fait entrer le désir dans le droit elle légitime tous les fantasmes de procréation mécanisée et la marchandisation des corps qui en est le corollaire.
De ces tensions entre l’individu et la masse, Michel VILLAND propose une illustration clinique à partir de son expérience de chef de service sur une unité de soins. Curieusement c’est le rêve, espace individuel pour un penser partagé, qui peut ouvrir certaines situations d’impasse.
Il reste une difficulté théorique à définir l’identification dans son rapport à l’Idéal du moi. Si la libido oscille entre investissement objectal et narcissique, entre choix d’objet et identification, Freud précise que l’identification peut avoir lieu en présence de l’objet et pas seulement en son absence, selon la nature de l’identification. Aussi, pour Olivier BONNARD, y aurait-il deux modèles pour l’identification selon qu’elle vise à mettre l’Objet à la place du Moi ou bien de l’Idéal du moi. Et ce deuxième modèle peut correspondre autant au processus introjectif de l’Objet en place d’Idéal (dans la mélancolie) que de l’identification à l’idéal propre à la masse.
La dialectique de ces deux modalités identificatoires, l’une dirigée vers l’Idéal et référencée au groupe, l’autre au Moi de l’Objet, soutiennent une morphogénèse psychique. Olivier BONNARD propose en effet d’étendre l’autoconservation à l’idée de forme, dans laquelle peuvent se rassembler rythme vue odeur etc., autant de caractéristiques de l’objet primaire capables de s’organiser en « trait » identificatoire. L’objet est là pour donner forme au moi sous l’effet des identifications premières ; forme psychique donnée par le psychisme des parents.
La dialectique entre l’objet et le groupe soutient donc une forme en remodellement ; dans laquelle le Moi trouve à s’organiser et se représenter lui-même (reflexivité). L’auteur s’y appuie pour penser les effets de groupe. Le groupe psychanalytique dit-il se figure sous la forme d’un espace central vide qui assure la fonction d’une « figure hypnotique centrale » et partagée, et qui « suggère à chacun les formes qu’il y projette ». Aussi, la valence hypnotique du transfert lui semble-t-elle accentuée en groupe.