Partant du constat d’un renouvellement de la pratique psychanalytique, en particulier de la fréquence des traitements en face à face, ce recueil impressionnant (910 pages !) emprunte son titre à un article de Freud. Dans une première partie, A. Green prolonge ses recherches antérieures sur les avatars de l’articulation de l’intrapsychique et de l’interpsychique dans les problématiques « ni névrotiques ni psychotiques », dont le large spectre inclut les cas-limites qui gardent leur spécificité. Il approfondit la façon dont Freud introduit, avec la seconde topique, aux questionnements de la psychanalyse contemporaine, tout en discutant les contributions des auteurs qui avancent sur des chemins parallèles. S’ouvre ensuite la partie centrale de l’ouvrage, consacrée à la clinique, où se succèdent les contributions de nombreux collègues (S. Cabrera, M.-F. Castarède, J. Chambrier-Slama, C. Jean-Strochlic, M.-E. Jullian-Muzzo, C. Kriegel, G. Lavallée, M. Persine, H. Rosenberg, C. Delourmel, L. Guttières-Green, F. Tremblay, G. Kohon, A. Denis, G. Diatkine, C. Balier, C. Combe, G. Haag, C. Smadja) que F. Coblence reprend dans un commentaire passionnant menant à des considérations originales sur la dimension d’une pathologie de la psychologie collective affectant, dans la société d’aujourd’hui, l’être sujet de tout un chacun. Ces chapitres explorent les limites de l’analysable (dépression, psychose, cassures du développement à l’adolescence, situations de destructivité extrême, autisme, solution somatique), à partir de la façon dont le cadre psychanalytique est mis en cause tout en étant maintenu avec modifications. La tension interne au dispositif éclairant les impasses, les auteurs trouvent des modalités d’intervention qui étendent le champ de définition de l’interprétation. Les subtiles catégorisations entre cure classique de divan, cure de divan ressemblant à une psychothérapie, psychothérapie psychanalytique en face à face, travail analytique en face à face de qualité égale à une bonne cure de divan, sont dépassées dans un mouvement de pensée collective lancé à la recherche d’un nouveau paradigme. Dans une troisième partie, le lecteur lira des textes décapants de C. Bollas sur « l’interprétation de transfert comme résistance à l’association libre », et de C. et S. Botella sur « la barrière du souvenir » dans « l’auto-érotisme du désespoir » (où leur méthode de lecture serrée de Freud prouve sa capacité à apporter des vues inédites sur les états limites). Pour leur part, F. Urribarri, J.-L. Ahumada, R. Britton, J. Canestri, A. Ferro, N.-C. Marucco et F. Riolo proposent des réflexions plus épistémologiques sur les relations entre les pratiques analytiques, les sciences humaines et sociales et les transformations des concepts scientifiques, dans le contexte d’un malaise dans la culture prenant des formes appelant un effort de pensée. J.-L. Donnet dépeint avec beaucoup de finesse, et parfois d’ironie, la situation politique de la psychanalyse dans les débats actuels sur le statut du psychothérapeute. T.-H. Ogden rend sensible son expérience des échanges interpsychiques patient/analyste à l’occasion de séances où la régrédience de la pensée vers l’onirisme ressuscite une sorte de respiration à deux. J.-C. Rolland, dans « Névroses de destin », qualifie de « tragiques » les situations borderline ou psychotiques, en ce qu’elles traduiraient une manifestation ultime de l’affor pour atteindre l’autre jusque dans la rupture de l’échange intersubjectif, ce qui réclamerait (paradoxalement ?) que soit maintenue la technique d’interprétation du transfert.
Ce beau livre constitue un miroir de l’activité psychanalytique actuelle ; on entre librement dans ses constellations variées avec un plaisir de lecture tranchant avec le sentiment que l’on peut avoir d’une répétitivité de nombreuses livraisons.