Saluons la sortie du numéro 128 de la collection “ psychologie ” de l’éditeur Armand Colin, à destination des étudiants, et consacré aux perversions ; sujet à la fois classique et complexe que Gérard Pirlot et Jean-Louis Pedinielli parviennent à présenter de manière claire et rigoureuse.
La perversion ne saurait se définir sans référence à un code qu’il soit moral ou légal. Pervertir, c’est tourner, renverser ; et d’emblée l’ambiguïté est là. Condamnable comme subversion, du point de vue de l’ordre institué, la perversion, par sa résistance à cet ordre même, sa nécessité à passer au delà de l’interdit, a partie liée avec la révolution, force de transformation. (Voir Sade et la révolution française).
La psychiatrie convoquée au chevet du pervers se trouve bien embarrassée devant ce qu’on pourrait appeler une pathologie de l’agir d’où la question de la souffrance psychique parait évacuée. Esquirol a cette formule concernant le pervers : “ c’est l’acte qui fait l’aliéné, pas son psychisme ”.
Freud, pour lui, s’intéresse aux perversions d’abord à travers la sexualité infantile (1905) ; persistance dans la sexualité de l’adulte d’une sexualité de caractère infantile. Dès lors, les frontières se brouillent entre le normal et le pathologique. D’où cette précision que le fantasme pervers reste inconscient chez le névrosé, là où il est non seulement conscient mais aussi agi chez le pervers. La perversion est alors comprise comme un arrêt du développement avec fixation à un mode de satisfaction prévalent.
Lorsqu’il révise le dualisme pulsionnel en 1915, les couples d’opposés sado-masochisme et exhibitionnisme-voyeurisme lui permettent de souligner l’importance de la dynamique des retournements et des renversements propres à la pulsion dans la constitution de sujet et de son narcissisme. Le sadisme est alors compris comme originaire. Ces questions seront reprises en 1919 dans “ Un enfant est battu ”.
Avec la seconde topique le masochisme primaire est repéré au fondement de la vie psychique comme modalité essentielle du jeu de liaison-déliaison de l’Eros et de la pulsion de mort. Le déni, le clivage, peuvent alors être mis en évidence, portant différence fondatrice entre névrose, psychose et perversion.
S’intéressant aux enjeux pulsionnels dans la perversion, à ses fantasmes, Pirlot et Pedinielli voient eux, dans la fixité du scénario du pervers, la marque d’un déficit des capacités de représentation et de la fonction onirique. Dans cette conception, le passage à l’acte pervers permettrait de se préserver de “ l’attraction-hallucination psychotisante ” et de lier “ sur la scène du réel ” des traces mnésiques traumatiques hallucinatoires.
Ces mécanismes donneraient corps à l’hypothèse d’une défaillance dans la constitution des enveloppes premières, liée peut être à des discontinuités excessives de l’intimité psychique partagée par l’enfant avec ses parents.
Si l’étude des différentes formes de perversions relève un peu du catalogue, le livre se termine sur la question plus récente de la perversion narcissique, dont l’identification porte à discussion.