Comment et pourquoi un psychanalyste peut-il parler d’art ? Pendant longtemps la « psychanalyse appliquée » avait mauvaise presse. Mais actuellement les écrits et les colloques psychanalytiques consacrés à la question de la création artistique font florès. Avec cet ouvrage, Christophe Paradas relève le défi. L’auteur est psychiatre, psychanalyste et, en outre, il participe à de nombreux projets culturels. Ce livre est le résultat d’un travail long et approfondi dans le domaine de la culture. Son ouvrage témoigne de la pertinence d’une réflexion psychanalytique sur l’esthétique, car Christophe Paradas montre que la psychanalyse a beaucoup à nous apprendre d’une part sur les œuvres et d’autre part sur les processus de créativité.
Le sommaire est impressionnant : Hemingway, Rembrandt, Camus, l’opéra, Bizet, Bergman, Proust, Beethoven … Pas question donc de rendre compte de la totalité de cet ouvrage. On ne peut qu’en donner une vision d’ensemble et quelques coups de sonde, afin d’inciter le lecteur à une lecture plus approfondie de ses chapitres variés.
L’auteur nous invite à une « promenade esthétique » dans des lieux artistiques dont on sent qu’il les connaît bien et qu’il les fréquente avec un grand plaisir qu’il nous fait partager.
Dans un premier chapitre, il analyse de manière détaillée le rapport de Freud à l’esthétique, mais ensuite Christophe Paradas nous propose des lectures beaucoup plus personnelles des œuvres étudiées.
Pour la Carmen de Bizet, par exemple, il nous donne sa version à lui de l’opéra.
Pour Wagner - « le plus fou des névrosés de l’art, » -, il s’interroge sur la problématique fondamentale de la filiation, ce qui l’amène d’ailleurs à interroger aussi le bien fondé d’une incursion dans l’enfance wagnérienne et ses secrets, c’est à dire dans le domaine psychobiographique, tant critiqué par les psychanalystes, mais qui paraît pourtant tout à fait pertinent voire même nécessaire, sans pour autant faire de chaque artiste un cas psychopathologique.
D’ailleurs, l’auteur n’a pas pour ambition d’expliquer les œuvres. Beethoven, par exemple, lui paraît « impossible à expliquer ». Car la créativité du génie relève « des harmoniques secrètes, en même temps universelles et singulières »
En ce sens, les textes de Christophe Paradas sont plus des textes littéraires que des textes analytiques. Ce qui ne l’empêche pas de nous livrer quelques clés de compréhension issus de la théorie analytique pour chaque artiste.
On peut s’attarder ainsi sur le chapitre très intéressant consacré à Camus, « qui comme tout le monde a commencé par être l’enfant de son enfance, pour devenir l’homme de son enfance ». Il donne un portrait étonnant de la mère de l’écrivain, celle à qui il a dédié un de ses plus beaux textes, Le Premier Homme, Une mère vêtue de noir, suite au deuil de son mari, le père de Camus, mort dans les tranchées de la Grande Guerre, quand l’enfant Camus n’avait même pas un an, analphabète, parlant peu, à qui il adresse cette fameuse dédicace « A toi qui ne pourras jamais lire ce livre ». Cette « Madonne archaïque » reste présente dans l’existence de Camus, devenu grand écrivain et grand amateur de femmes, comme une figure à la fois rassurante et inquiétante.
Avec cet ouvrage, Christophe Paradas nous propose un ensemble de textes plus allusifs qu’explicatifs, pour aller au-delà de « l’ineffable des émotions esthétiques », en quête des mots, qui ne peuvent être que poétiques, pour entrer dans les mystères et énigmes de la créativité. Œuvre très personnelle, qui rend bien compte de l’importance de l’art dans le champ de la psychanalyse.