Psychanalyste d’orientation lacanienne, qui a été professeur à l’université Paul Valéry de Montpellier, Henri Rey-Flaud s’est notamment attaché à l’étude du fétichisme dans l’œuvre freudienne (Comment Freud inventa le fétichisme… et réinventa la psychanalyse, Payot, 1984) ainsi qu’au Moïse de Freud (Et Moïse créa les Juifs… Le testament de Freud, Aubier, 2006). Depuis 2008, il s’est tourné vers la compréhension de l’autisme, avec L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage (Flammarion 2008, réédition dans la collection Champs en 2010). Il y défend une conception de l’autisme comme arrêt du développement à un stade primordial dominé par les sensations ; l’enfant a besoin d’être relancé dans la dynamique du langage, avec un entourage restauré, ce qui suppose d’avoir compris la nature des processus psychiques régissant les premiers échanges entre le nourrisson et les parents. Il s’agit à la fois de ré ouvrir les possibilités de communication, en identifiant le court-circuit qui a coupé l’enfant de la possibilité du partage et de redonner leur sens aux conduites autistiques. L’enjeu est de reconnaître avec respect la particularité de l’autisme ainsi que sa douleur et de le réintégrer dans la relation et la communauté humaine. L’étiologie de l’autisme reste une énigme, les causes en sont multifactorielles, mais il est essentiel non seulement de ne pas oublier que l’enfant autiste est notre prochain, mais de savoir le reconnaître réellement, y compris dans ses conduites les plus énigmatiques ou apparemment aberrantes.
Son nouvel ouvrage, Les enfants de l’indicible peur, prolonge et élargit cette perspective, au point de se présenter comme un « nouveau regard » sur l’autisme. S’opposant à la conception d’un déterminisme organo-génétique, qui fixerait l’autisme dans un destin irrévocable ne permettant que l’aménagement d’une rééducation, l’auteur veut montrer que, même dans le cas de l’autisme, le sujet humain est toujours en puissance de répondre à « l’adresse primordiale de l’Autre » (incarné au début de la vie par le visage maternel) ; l’autisme est alors moins un handicap qu’une réticence énigmatique quasi délibérée envers l’Autre, un retrait originel qui s’apparente à une rébellion, mais qui procède en même temps d’une réaction de défense à une « terreur sans nom ». Il ne faudrait pas que le retrait des enfnts autistes fasse ignorer la richesse de leur univers psychique insoupçonné. Paradoxalement, selon Henri Rey-Flaud, l’autisme n’est pas, comme la psychose, une incapacité à symboliser, mais plutôt une forme de symbolisme primordial privé de l’adresse à l’autre. Dans la mesure où elle peut rendre compte de la genèse du sujet humain, la psychanalyse peut appréhender avec une attention respectueuse l’énigme de la peur et du retrait autistique, les conduites d’apathie ou de fureur, la capacité à se « débrancher » de l’adulte, les jeux stéréotypés ou la tendance à enduire la mère ou le thérapeute de morve ou de salive, et y reconnaître les éléments d’un puzzle cohérent, à même d’éclairer l’archéologie de la naissance psychique de tout homme et des conditions de son accès au langage.
Si l’on peut discuter certaines interprétations de cet ouvrage ambitieux, en particulier sa conception de la symbolisation qui mériterait un examen plus différencié des différents types et niveaux de symbolisation et de sa genèse, cet ouvrage – qui fait appel à l’ensemble de la littérature concernant l’autisme (à l’exception regrettable des publications de Denys Ribas et de Martin Joubert), et notamment aux écrits d’autistes qui ont pu accéder au langage et rendre compte de leur histoire, représente une synthèse réfléchie qui interprète les conduites autistiques à partir d’une orientation psychanalytique exclusive mais élaborée et suggestive, stimulante – plus théorique que clinique malgré la collaboration avec un éducateur –, dans une perspective humaniste et éthique optimiste.