De la même façon que le conteur nous captive en nous faisant voir les choses qu’il raconte (p. 188), ce livre nous entraîne dans son mouvement puissant sans jamais qu’on se lasse. Seconde édition du Colloque de Cerisy (« Contes et psychanalyse », juillet 2000) l’ouvrage est composé de dix parties qui le rythment, reliées par « le fil du féminin » ( B. Lechevalier). Fil que tiendront les auteur venus d’horizons divers. C’est sous forme de spirale que se développe cet ouvrage puisque certains thèmes sont repris et abordés sous des angles différents, spirale qui part du « Champs du conte » pour arriver au « travail du rêve, travail du conte, travail du conteur » traversant les espaces historique, anthropologique, littéraire, puis psychanalytique.
Une radiographie du conte fort intéressante de C. Carlier nous est d’abord proposée. Des études historiques abordent l’évolution du passage du conte oral à son écriture, puis à la création de la littérature enfantine (Claire Debru) ainsi qu’à l’actualité du conte aujourd’hui: le néo-contage, une politique éditoriale riche (G. Poulouin) ainsi qu’une pratique pédagogique et psychothérapique importante laquelle est développée au chapitre 9 « Usages du conte » au travers de récits d’expériences cliniques passionnantes. Les chapitres 3 et 6 peuvent être rapprochés : on y rencontre Baba Yaga, la femme forte des contes russes. D’autres figures féminines sont étudiées, celles des contes à héroïnes passives qui « dé-ploient beaucoup de passivité pour accomplir des buts actifs » (98) ce qui, constate N. Belmont, inverse la proposition de Freud qui stipule qu’il faut déployer beaucoup d’activité pour accomplir des buts passifs. La trajectoire initiatique des filles qui se métamorphosent en femmes au travers des contes est abordée dans plusieurs textes : «la poupée fleur et mains coupées », « filer le lin et le temps », « Cendrillon dans la métamorphose » et «Un conte subversif : le Petit Chaperon Rouge » Quant à la question de l’intégration de la bisexualité psychique, D. Houzel l’aborde à partir du héros Kulhwuch et en distingue trois étapes. Une riche étude sur « Les images de la femme : fantasmes et peurs de l’homme dans les contes indiens et africains » bouscule la notion freudienne de « l’envie du pénis » chez la femme. Etude qui se rattache au passionnant chapitre 6 « Les contes d’ailleurs ». Dans « L’Etrange et les contes », Anne Clancier met en parallèle Freud et Hoffmann « dont les thèmes de l’œuvre fantastique sont comme des illustrations de ce que les travaux de Freud ont mis en lumière… » Dans le chapitre « L’enfant dans les contes », nous retrouvons Peter Pan dont le conte est pour K. Kelley-Laine « une métaphorisation d’un désarroi particulier : ne pas vouloir grandir ». Puis, invité par R. Puyuelo, nous rencontrons Pinocchio, ce « sans papier de la vie. » G. Poulouin lui, étudie « Les auteurs d’enfance, enfance d’auteurs » et s’interroge sur ces conteurs qui admettent le cycle des générations (ils transmettent) tout en semblant restés fixé à l’enfance. C’est autour du travail du rêve, du conte et du conteur que se clôture le livre. K. Méry raconte de façon très vivante son vécu personnel de l’irruption chez elle d’affects violents en situation groupale et de leur élaboration à partir de ses associations libres autour de contes. H. Sybertz pour laquelle « le conte est un rêver ensemble » y explore le travail du conteur de la tradition orale. Le dernier écrit est celui de B. Lechevalier « du travail du rêve au travail du conte » dont dit-elle, les mécanismes d’élaboration sont les mêmes. Nous conclurons par une phrase tirée de cet article au sujet du rêve : « travail d’élaboration, comme celui de Shéhérazade, travail de tissage, il fait advenir un mode de pensée, luttant comme Shéhérazade pour maintenir en vie le féminin dans une passivité qui lie et met en scène la bisexualité dans les représentations » (p. 338).