Par ce titre à la violence suggestive, Jean José Baranes prévient son lecteur : les symbolisations plurielles concernent la clinique du traumatisme, et renvoient à ces cures pour lesquelles l'interprétation classique s'avère inefficace ou insupportable. L'auteur veut explorer des processus de symbolisation en deçà du langage, susceptibles de faire advenir de la subjectivation alors qu'il s'agit d'un sujet qui, comme le disait Winnicott, n'est pas encore là. C'est au seuil des éprouvés émotionnels, sensitifs, moteurs ou viscéraux qu'il faut alors travailler, c'est-à-dire analyser et tenter de symboliser. Les balafres sont à la fois blessure et cicatrice, indiquant le temps du trauma, mais aussi ce qu'il en reste, son devenir. Faute de saisir le registre de symbolisation qui est possible et tolérable, la cure peut elle-même provoquer de nouvelles balafres sur de vieilles cicatrices ainsi ravivées. Pour ces patients qui viennent demander l'impossible à leur(s) analyste(s), il faut recourir aux "mémoires du corps" qui sont venues pallier les failles de la représentation.
Préfacé par Jean Cournut, l'ouvrage rassemble des articles apparemment variés, qui s'avèrent après coup concourir tous à l'examen et au déploiement de la conception récemment élaborée par l'auteur : celle de symbolisation plurielle. Certains articles mettent au travail des potentialités inaperçues dans des textes de référence : ainsi l'étude sur la notion freudienne de clivage du moi dans le processus de défense (1986), ainsi qu'un beau commentaire (1988) du Journal clinique de Ferenczi. Trois études cliniques s'attachent à des patients chez qui prévaut la souffrance narcissique, ce qui appelle chez l'analyste une présence en identité malléable, à même de supporter des moments de brouillage entre soi et l'autre. Les aléas de l'identité et les agonies primitives réactivées font de l'adolescence un nouveau paradigme pour la cure, caractérisé notamment par une temporalité spécifique, impatiente de réalisation immédiate et intolérante au délai nécessaire au travail de la psychè. Le point de vue transgénérationnel s'avère également essentiel dans la clinique de l'adolescence, et l'auteur analyse l'apport de cette perspective, les conditions de son usage psychanalytique et les modalités de symbolisation qu'elle permet.
La problématique du double narcissique et le psychodrame analytique se prêtent particulièrement à l'étude des symbolisations primaires, qui, comme l'avait montré Piera Aulagnier, autoreprésentent le fonctionnement psychique en établissant des différenciations primitives qui frayent la voie au langage, à la représentation de mot et à la conflictualité psychique. Le double est un opérateur de transformation paradoxal qui ressurgit lorsque le scénario névrotique défaille, ouvrant sur la scène que vont devoir jouer l'analyste et son patient, à la recherche d'une enveloppe de transformation psychique. Il s'agit de tracer des contours, de donner forme, en vue de la possibilité ultérieure de donner du sens. Ancrées dans la sensorialité et dans l'affect, les symbolisations primaires retrouvent la source des premières matrices signifiantes – traces sonores, rythmes, formes, mouvements d'énergie ; elles se déploient dans l'espace intermédiaire et transitionnel et non dans l'intrapsychique, appelant les capacités transformationnelles de l'analyste et elles s'autosymbolisent en même temps qu'elles travaillent à symboliser. Dans une articulation théorico-clinique très féconde, l'ouvrage nous montre ainsi comment les processus de symbolisation sont en perpétuel remaniement pluriel dans un espace psychique partagé.