C’est dans ce que Graciela Cullere-Crespin appelle la « rencontre primordiale » avec l’autre secourable, le « Nebenmensch » de Freud, que l’enfant trouvera une voie pour sortir de l’état de détresse primordiale dans auquel il se trouve exposé dès la naissance. Or cette rencontre, et c’est l’un des fils essentiels suivi par l’auteur tout au long du livre, n’est pas tant articulée par le besoin que par le désir ; désir du côté de l’enfant tout autant que de ses parents ; désir de survie du nouveau-né au premier chef. L’importance de cette rencontre tiendrait à la préséance du symbolique sur le besoin.
À travers la clinique précoce, celle du bébé ou du nourrisson, le livre trace les effets d’une pulsionnalité qui ne saurait être rabattue sur la seule nécessité de l’instinct. C’est pourquoi l’exemple de l’anorexie sévère du nourrisson vient nous montrer comment un sujet peut « refuser très tôt, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive, la satisfaction du besoin au nom de sa reconnaissance en tant qu’être de désir ».
S’appuyant sur son expérience de psychanalyste en pouponnière et en crèche, l’auteur est animée d’un souci de clarté didactique évident. La lecture de la clinique dans une théorisation lacanienne s’en trouve explicitée d’une manière simple qui facilite heureusement la tâche du lecteur, encore que l’insistance à faire entrer la clinique dans cette seule grille de lecture théorique puisse donner parfois une impression de lourdeur et de gratuité.
Dans une première partie, G. Cullere-Crespin montre avec pertinence comment, dans chacun des registre de la pulsion, cet écart entre besoin et désir permet de dégager le regard clinique de l’angoisse suscitée chez les soignants par l’enjeu rapidement vital des symptômes à cet âge. Des exemples cliniques simples viennent illustrer chacun de ces aspects. Le caractère dramatique et spectaculaire de certains d’entre eux vient rappeler la fragilité des enfants à cet âge et le risque dans lequel se trouvent les soignants de réagir seulement à une contamination par l’angoisse.
Mais l’auteur, surtout, met au centre de son propos ce qu’elle appelle d’une formule heureuse, « l’appétence symbolique » du nourrisson et qui désigne « bien plus qu’une compétence… un appétit », que manifestent les bébés bien-portants pour entrer en relation signifiante avec les autres. Cet appétit du nourrisson bien-portant est, à contrario, évident par son absence à quiconque à l’habitude du travail auprès des enfants autistes ; appétence symbolique, c’est à dire qui se nourrit et se satisfait dans ce que le registre de l’échange affectif et relationnel trouve à s’organiser par le symbolique, sans référence à la satisfaction du besoin.
Dans la deuxième partie du livre qui s’adresse sans doute plutôt aux étudiants ou aux somaticiens, l’auteur propose une présentation originale des symptômes de cette clinique particulière des troubles du développement précoce en les organisant, dans chaque registre pulsionnel considéré, en trois rubriques : les signes de développement, les signes bruyants, les signes silencieux enfin. Cette partie, très didactique dans son esprit, lui permet un tour d’horizon de l’ensemble de la symptomatologie de cet âge en insistant sur les symptômes les moins voyants et qui passent de ce fait le plus souvent inaperçus.
Ce livre très proche de la clinique et d’un abord facile constitue ainsi une bonne introduction aux troubles les plus précoces du développement.