Ce livre est fondé sur la clinique des liens pathologiques familiaux, et notamment sur l’analyse rigoureuse de ces familles psychotiques chez qui le destin du sujet n’est pas différencié du destin de la famille elle-même. Mais la thérapie psychanalytique de la famille exige, comme le montre Jeanne Defontaine, des fondements épistémologiques plus complexes qu’une simple causalité transsubjective univoque. La famille est présentée comme le lieu du domptage pulsionnel, mais aussi comme une matrice symbolique sociale, qui ouvre la voie vers la symbolisation, permettant l’accès aux processus de sublimation. Chez certains patients de structure non névrotique, l’imprégnation familiale et groupale doit être pensée en même temps que l’intrapsychique, car elle est à l’arrière-plan des réactions émotionnelles et des possibilités de penser. Certaines familles développent une défense massive contre l’Œdipe ; la pulsion y reste indomptée, les capacités à sublimer sont faibles, le moi de chacun est poreux et ses limites imprécises et la famille se présente comme amalgamée. La répression remplace le refoulement, aux dépens de la possibilité de mettre en mots l’expérience émotionnelle. La scène primitive et les autres fantasmes originaires sont occultés, faisant les frais de cette expulsion de toute fantasmatique hors du discours familial rabattu sur des causalités exclusivement matérielles. Reprenant des élaborations de Paul-Claude Racamier et de René Kaës, Jeanne Defontaine prolonge sa réflexion sur la conflictualité transgénérationnelle : dans ces familles, remettre en question cette appartenance implique une menace identitaire : « il est des sujets chargés de mission dont la fonction est de tenter de colmater les traumatismes liés à la conflictualité transgénérationnelle mais qui ne peuvent y parvenir que dans le délire ou la somatisation ». Dans l’idéologie familiale, toujours trompeuse, le narcissisme du sujet se joue ainsi, parfois dramatiquement, contre le narcissisme familial. L’anti-transmission et l’indifférenciation en sont le dénominateur commun.
L’introduction de l’ouvrage précise ainsi la notion d’idéologie familiale et ces situations où l’on peut décrire la famille comme une fabrique de folie. Le terme d’empreinte familiale, ainsi précisé, est développé en trois parties. La première s’attache à l’empreinte transférentielle, avec l’analyse des transferts familiaux, et de l’intertransfert dans le couple thérapeutique. J. Defontaine étudie notamment la « ligature » caractéristique du transfert des pervers narcissiques qui ont peu d’accès à leur dépression, fondamentalement déniée : continuer l’analyse est insupportable, l’interrompre serait mortel. La haine naît chez le patient de la prévalence d’une envie radicale et impossible : entrer dans la peau de l’autre, pour devenir soi-même son analyste (et non pas simplement être comme lui).
Une deuxième partie s’attache à l’empreinte comme trace du passé en regardant les problèmes qui concernent la transmission : Schreber illustre les abus de pouvoir qui vont jusqu’au meurtre d’âme (figure d’antiœdipe) ; l’impact d’une transmission brute est traumatique : qu’advient-il lorsque ce qui fait l’histoire essentielle d’une famille a été tu, banalisé, ou est resté non symbolisé ? Les difficultés tiennent à la confrontation à des objets paradoxaux, et impliquent un fort degré d’incestualité familiale (le resserrement pathologique des liens familiaux faisant partie de l’effet répétitif des souffrances psychiques que chacun s’efforce d’oublier) comme le montre le cas d’Aurore, enfant de la troisième génération d’une famille ayant subi la Shoah. Ou bien elles surgissent des incarnations imagoïques – qui à la différence des représentations imagoïques relèvent de l’agir –, suscitant l’inquiétante étrangeté ou la terreur.
C’est à l’empreinte familiale présente dans le « transagir » qu’est consacrée la troisième partie : tel adolescent est « prédestiné » à se comporter comme une « racaille », par injection projective de la tristesse des deuils et des aspects délinquants des parents. D’autres récits cliniques évoquent l’anorexie, les problèmes de parentalité, les transferts familiaux paradoxaux, la position sacrificielle et sa violence agie. Tout au long du livre, présentation clinique et élaboration interprétative sont solidement arrimées dans un bel exemple de pensée clinique (selon la formulation d’A. Green) qui nourrit la réflexion et appelle à la discussion interanalytique.