L’ouvrage de Stéfano Bolognini, psychiatre et psychanalyste italien à Bologne, membre de la société psychanalytique italienne dont il a été le secrétaire général, s’ouvre sur une belle préface de François Sacco.
F. Sacco, dans un bref rappel historique utile, contextualise la pensée de Bolognini, par ses attaches culturelles avec Bion, qui s’est rendu en Italie, mais aussi A. Green, entre autre. La psychanalyse italienne a particulièrement développé la théorie de la relation d’objet, du champ de l’intersubjectif et du groupal sans abandonner la théorie de la pulsion. La clinique de l’affect prend une place toute particulière dans les recherches de S. Bolognini. Dans cet ouvrage il présente le concept d’empathie à la fois du point de vue historique et théorique, dans un travail d’articulation avec la métapsychologie et donc la théorie psychanalytique.
Le travail de Bolognini s’inscrit dans le champ élargi de l’intersubjectivité, qui prend en compte les implications subjectives de l’analyste dans le cadre de la séance, dans une communication plus sensitive que verbale, « une psychanalyse attelée au sens plus qu’au verbe, à la vérité retrouvée ensemble » (F. Sacco).
Le concept forcément suscite en France la crainte d’une dérive de la psychanalyse vers l’intersubjectivité. B. Brusset est cité qui rappelle que le champ de la psychanalyse est d’abord l’intrasubjectivité dans ses effets sur l’intersubjectivité, son objet étant les déterminismes psychiques inconscients.
Conscient de ce risque Bolognini fait de l’empathie un sentiment naturel, éphémère, qui permettrait l’engagement d’une psychanalyse. F.Sacco « salue le témoignage d’un psychanalyste au travail », une des qualités essentielles du livre résidant dans la présentation des exemples cliniques
Au début de l’ouvrage, la naissance du concept d’empathie est resituée dans le mouvement romantique du XIX ème siècle. Le mot a été créé par le poète allemand Novalis. L’empathie romantique adoptait un style psychique privilégiant le sentir par rapport au réfléchir, dans un sentiment d’unisson avec la nature et « de projection de soi » source du mouvement créateur.
La psychanalyse en reprenant le concept, a introduit la condition préalable et fondamentale de la séparation consciente qui le différencie de la fusion et de l’identification projective. Bolognini fait référence au travail de Christine Olden (1958) qui met en évidence la nécessité d’une séparation pour qu’il y ait reconnaissance empathique.
Dans la première partie du texte il cherche à montrer la mise au point progressive du concept par les psychanalystes, à commencer bien sûr par Freud qui l’utilise dans « Psychologie des masses et analyse du Moi » (1921) où une citation fondamentale est rapportée : « l’empathie permettrait aux analystes de comprendre la partie des personnes qui leur est inconnue à elles-mêmes ». Mais néanmoins on connait la méfiance de Freud à l’égard des réactions émotives des analystes, méfiance à l’origine de ses critiques envers l’implication de Ferenczi dans ses cures, et crainte que sa notion de tact ne permette de justifier l’excès de subjectivité et les dérives arbitraires. Pour Freud dans une lettre à Jung en 1911 « l’analyste doit rester inaccessible et se borner à recevoir ».Bolognini comprend cette réserve comme une prudence dans un moment de naissance d’une nouvelle science théorique et technique.
Mais il va ensuite citer les recherches des pionniers qui vont à sa suite donner une place à ce concept, comme étant un concept précieux puisqu’il décrit finalement un phénomène qui a toujours tendance à se produire et qui entre dans les tableaux classiques du contre-transfert.
Le concept est peu abordé dans les écrits psychanalytiques jusqu’à la fin des années 50 avec les écrits de Olden (1958), Roy Schafer (1959), Kohut (1959) et Greenson (1960).
A leur suite, il y a une redécouverte de l’empathie chez les analystes, principalement anglo-saxons, chez Rosenfeld, les kleiniens et les post kleiniens. Il y a pour ces auteurs le souci que l’interprétation, pour qu’elle devienne efficace, prenne une valeur émotionnelle pour le patient.
Par ces différentes références Bolognini explore par cette notion d’empathie un mode de compréhension du fonctionnement psychique de l’analyste en séance, dans une oscillation entre des moments d’introjection et de projection. Il s’agit d’instaurer pour l’analyste un contact interne par des introjections partielles et progressives du monde du patient avec ses fantasmes et angoisses infantiles. Mais dans un second temps l’acte de connaissance ne peut aboutir que dans une projection qui en permet l’interprétation. Dans cet acte de projection, le patient représente une partie immature ou malade de l’analyste lui-même. Il est essentiel que l’analyste dispose d’élasticité et de promptitude dans ses oscillations.
Au fil de l’ouvrage, Bolognini envisage ce sentiment d’empathie dans ses rapports avec l’inconscient, topiques et structuraux afin de lui donner une reconnaissance métapsychologique. Il la resitue dans le registre conscient préconscient ce qui la distingue de l’identification qui, elle, est inconsciente. Il écarte ainsi la confusion avec ce qui aurait plus à voir avec l’illusion omnipotente et « l’enchantement de la fusion ». Il distingue l’empathie de l’empathisme et de la sympathie en réintégrant les affects négatifs.
Pour Bolognini l’empathie est un contact avec la complémentarité objectale de l’autre tout autant qu’avec sa propre subjectivité « le soi » objet de l’expérience subjective, source de créativité chez l’analyste. Il utilise la notion de Robert Fliess (1942) de Moi de travail , qui permet à l’analyste, avec un allègement des pressions surmoïques, de s’ouvrir à un champ de vécus, de fantasmes, de sentiments, plus larges qu’à l’ordinaire et habituellement réprimés.
L’auteur va décrire des situations cliniques qui sont autant de modalités de contact psychanalytique correspondant à différents positionnements de l’analyste. Il repère que lorsque le psychanalyste travaille à un bon niveau de contact interne, les représentations de choses peuvent prendre le pas sur les représentations de mots.
Les limites ou réticences au concept d’empathie résident finalement pour Bolognini en une question de terminologie. Il s’agit pour lui d’une notion plus complexe qu’une concordance avec ce qui est syntonique pour le patient, elle est au cœur des questionnements de la psychanalyse actuelle. Il considère l’empathie comme un évènement intra et interpersonnel non programmable car ce qu’il veut transmettre d’essentiel c’est que « l’analyste ne peut ni éliminer les affects ni prétendre en décider ; ni leur attribuer le statut idéalisant d’élément toujours clarificateur et thérapeutique, ni le statut redoutable d’éléments toujours antiscientifique qui nous plonge dans la confusion. » Dans les derniers chapitres il distingue d’une manière subtile la notion d’empathie, de celle de contre transfert, de l’empathisme, de la fusion etc…
Dans une longue préface et en guise d’avertissement Bolognini s’était positionné contre la pensée dogmatique et monoréférencée de l’analyse car dit-il, une nutrition monoalimentaire des élèves en formation s’avère aujourd’hui de plus en plus rare et improbable. Dans ce qu’il qualifie de luxuriance théorico-clinique, la gageure pour les analystes actuels est d’effectuer une bonne intégration de modèles différents en évitant la trahison et la perte d’identité dans un éclectisme superficiel.
Cet ouvrage nous propose un concept qui puisse « s’ajouter à notre laboratoire privé » du fonctionnement de l’analyste en séance .Il représente une avancée personnelle cohérente que l’auteur souhaite voir intégrer dans la collégialité du monde psychanalytique.