Premier tome d’une trilogie entreprise par un groupe d’enseignants des universités de Paris V et VII, « Le tourment adolescent » s’affiche d’emblée avec l’ambition d’ancrer la réflexion sur l’adolescence sur un « socle métapsychologique rigoureux ». Ce premier tome est consacré à la naissance de la question adolescente dans les écrits des premiers analystes. Comment penser l’actualité d’un corps se sexuant, des premières expériences de la sexualité adulte avec leur vécu d’étrangeté et d’épreuve initiatique ; comment cette actualité du corps permet-elle d’organiser une reprise en « après-coup » des expériences et fantasmes infantiles ? Autrement dit doit-on considérer la puberté dans une perspective de rupture avec le développement antérieur ou bien dans une continuité métapsychologique, dont les transformations de l’adolescence ne se constitueraient qu’un avatar ?
Freud le premier s’est trouvé confronté à de jeunes adultes qui aujourd’hui seraient considérés comme des adolescents. Dès l’Esquisse, c’est la question des rapports respectifs entre les expériences vécues et les fantasmes construits dans l’enfance qui surgit à travers la découverte de l’après coup dans le fragment d’analyse bien connu d’Emma E. avec sa phobie des commis de magasin.
Un des intérêts du livre est de suivre précisément l’impact psychique de la découverte de la jouissance orgastique à la fois dans ses aspects masturbatoires et objectaux. C’est, s’appuyant sur ces expériences potentiellement déréalisantes du corps propre, que l’adolescent va pouvoir entamer une révision des figures de l’organisation de son idéal du moi, opérant un glissement à partir des figures parentales vers des personnes du socius. L’histoire de la jeune fille « d’un cas d’homosexualité féminine » est à cet égard exemplaire. Cette ouverture permet l’autonomisation progressive et le dégagement du moi adolescent de ses relations infantiles aux parents. La difficulté de ce passage, son inscription dans les tensions du corps, assorti de la fragilisation narcissique qui lui est inhérente, viennent justifier le joli terme de « tourment » que les auteurs ont voulu pour leur titre.
Si les points de vue opposés et controverses entre Mélanie Klein et Anna Freud sont bien connus, ils prennent un tour plus sensible en ce qui concerne la clinique adolescente et ses conséquences pour les cures. On se demande parfois si elles pensent aux mêmes enfants. Les vues d’Anna Freud, ont certainement joué un rôle dans l’invention des structures publiques de soins de type C.M.P.P. Mais d’autre part, la remise dans une perspective historique du travail d’Anna Freud permet de le voir comme l’aboutissement d’une élaboration collective prenant en compte la spécificité de la psychanalyse des enfants et des adolescents. La figure de Hermine Von Hug Helmuth assassinée par son patient (fût-il son neveu) a certainement pesé dans le souci du groupe d’analyste autour d’Anna Freud de formaliser le maniement du transfert et ses limites avec les adolescents.
C’est cependant le travail d’Hélène Deutsch qui paraît le plus novateur sur ces questions. Peut être aussi parce que, elle seule, se centre plus spécifiquement sur le développement sexuel féminin. Son œuvre pour laquelle elle a manifestement puisé à la source de ses propres expériences, n’en est que plus émouvante. On aura une bonne idée de la finesse de ses observations avec son identification de « triangles pubertaires », qui autorisent un certain balancement entre choix d’objet infantile et génital. La voie vers un choix d’objet génital passe selon elle par l’étape intermédiaire de relations triangulées qui permettent l’exploration tendre et / ou érotique sur des modes labiles, aussi bien homo que hétérosexuels, qui amènent progressivement au dégagement d’un choix plus affirmé. Par cette idée H. Deutsch fait une large place à la dynamique, à l’influence des rencontres, aux expérimentations, qui cadrent bien avec les mouvements de l’adolescence.
Un chapitre sur Erikson enfin, auteur un peu méconnu chez nous (du fait que son travail reste plus axé sur l’interaction sociale), termine le tour d’horizon assez didactique de ce livre, écrit dans un style fluide et qui donne un bon aperçu des problèmes théoriques et pratiques posés aux psychanalytiques dans le travail avec les adolescents.