Ce petit ouvrage constitue une contribution importante aux questions inédites qui se posent aux analystes à l’heure actuelle de l’épidémie. Le désastre écosystémique et la propagation du virus Covid-19 amène à repenser le rapport de l’homme et de son environnement et en particulier à affirmer que l’homme ne peut plus continuer à considérer son « milieu naturel » comme éternellement exploitable.
C’est dans ce contexte que Jean-Paul Matot, pédo-psychiatre et psychanalyste en Belgique, pose l’hypothèse que chaque individu humain fonctionne dans et entre une pluralité d’espaces et d’enveloppes psychiques, plus ou moins appropriés et subjectives, qui forment ce qu’il appelle le soi-disséminé. Ce modèle s’inspire des modèles scientifiques actuels, qui ont intégré les avancées impressionnantes dans les domaines de la physique, de la biologie, du numérique et de l’intelligence artificielle. Pour penser ces situations « impensables », il faut dépasser le seul champ de la psychanalyse, et aller au-delà même des sciences dites humaines. L’auteur s’appuie en particulier beaucoup sur l’œuvre de Philippe Descola, anthropologue, dont l’ouvrage, Par-delà Nature et Culture, est fondateur de ce courant de pensée.
Pour rendre compte de cette extension de la psychanalyse, Jean-Paul Matot accorde une place importante aux phénomènes transitionnels de Winnicott, qui assurent une fonction centrale dans les translations entre les figurations psychiques, ce qui constitue une des caractéristiques du soi-disséminé.
Dans ce modèle, les différenciations interne/externe, sujet/objet, humain/non-humain sont bousculées pour faire place à une conception d’une humanité non dissociable de son environnement, ce qui réactive le vieux débat du statut de la réalité externe qui a agité depuis toujours la psychanalyse. La non-différenciation entre l’humain et son environnement ouvre sur des possibilités de changements non-catastrophiques des organisations, des sociétés et des cultures. Le psychisme humain est intriqué au non-humain. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que l’ouvrage L’environnement non-humainde Searles gagne aujourd’hui un regain d’intérêt.
« Mais il fait de la sociologie ! », pourrait-on reprocher à Jean-Paul Matot. C’est là que se situe justement l’enjeu de cet ouvrage, celui d’ouvrir le champ de la psychanalyse aux approches transdisciplinaires, et en particulier au social. C’est le sens du concept de soi-disséminé, qui est constitué par une pluralité d’enveloppes correspondant à des niveaux d’organisation différents du psychisme. En fait, Jean-Paul Matot reprend des acquis antérieurs de la psychanalyse, mais en les situant dans une perspective élargie. Ses idées innovantes peuvent surprendre un lecteur habitué à une psychanalyse plus traditionnelle, car elles bousculent les catégories classiquement admises. Elles constituent pourtant des outils pour penser notre situation actuelle, complètement inédite.
On pourrait reprocher à l’auteur d’évoquer beaucoup d’auteurs (Meltzer, Bleger, Bion, Bollas, Roussillon, Ameisen, René Kaës, Didier Anzieu…) et de les citer abondamment, mais cela ne l’empêche pas d’avancer des théorisations personnelles et originales. S’éloignant d’une conception trop figée de la psychanalyse, il offre des points de vue nouveaux, pose des hypothèses, nomme des nouveaux concepts.
L’essai est incomplet, conclut l’auteur lui-même, car - manque de recul par rapport à ces idées innovantes ? – il faudrait maintenant donner des exemples cliniques et une ouverture sur la création artistique. En effet, les idées proposées dans cet ouvrage sont des pistes qui demandent à être développées dans les années à venir.
Simone Korff Sausse