Sans concession sur la violence de ses propos, dans leur forme comme sur le fond, Patrick Declerck, psychanalyste de la Société psychanalytique de Paris, dénonçait avec vigueur et pertinence, dans ce livre publié à l’approche du dernier hiver, « la pérennité d’un système d’aide aux SDF /…/ foncièrement sadique ».
On sait l’engagement la fois professionnel et profondément personnel de l’auteur des Naufragés dans le soin et l’attention portée aux SDF et sa conscience aiguë de la radicalité du syndrome de la « grande désocialisation ». Dans ce petit livre polémique, il lance un cri d’alerte. Le marasme affectif, l’ambivalence et le reflux affectifs entre amour et haine caractérisent le double discours mis en œuvre (au service de la bonne conscience, de l’hystérie compassionnelle voire de la perversion chrétienne) à propos de la question SDF : « Ces clodos font peur et sont de pauvres victimes. Virez-les, ils puent. Aidez-les, ils souffrent ». La double représentation de « l’horreur SDF » associe constamment l’humanitaire et le policier, le répressif et le réparateur, l’agression et la culpabilité, l’exclusion et l’identification. « En situation extrême, l’homme s’habitue très vite à l’atroce. Il est une heureuse facilité à supporter la vue du sang. Le sang des autres, bien entendu… »
Après avoir critiqué les camionnettes de charité qui passent donner de bonnes paroles plutôt que des sandwiches, l’auteur dénonce notamment, parmi les « manifestations de l’atroce au sein de la banalité béate », le jeu télévisé à but charitable. Il montre aussi la violence de ces décisions qui n’ouvrent tel ou tel abri qu’à partir de telle ou telle température au-dessous de zéro, et le fallacieux recours à la notion d’insertion et à son espoir menteur. Entre 400 000 et 500 000 personnes gravitent autour de ce « trou noir qu’est la rue » – à la fois lieu de terreur et banalité de l’existence dont l’auteur tente de nous faire pressentir l’horreur. En face, nos révoltes ne sont que prudemment pétitionnaires, nos colères restent tièdes et nos haines se sont que conceptuelles. Nous utilisons les SDF pour astiquer notre narcissisme, nous prétendons qu’ils choisissent de vivre dans la rue, nous voulons des pauvres qui restent dignes. Le SDF, exclu parmi les exclus, occupe fonction et rôle dans le théâtre social, moderne version du corps des suppliciés pourrissant jadis en place de Grève : l’incontournable démonstration du prix de la transgression supposée ; par-delà la compassion réelle ou feinte, ils sont consciemment ou inconsciemment objet de la haine et de la vindicte publique : ils se soustraient à l’obligation du travail (encore qu’un nombre de plus en plus grand de gens qui travaillent vivent pourtant sans toit…), et nourrissent un fantasme de liberté sans loi ; en même temps, ils illustrent, avec le bordel et la prison, la terrifiante vérité de la société. « Que l’on ne s’y trompe pas. La souffrance des pauvres et des fous est organisée, mise en scène, et nécessaire. L’ordre social est à ce prix. »
La seule alternative est de bannir radicalement cette violence inouïe infligés à ces errants de force, à ces sans-abri contraints à la rue, en comprenant qu’il s’agit d’un crime sacrificiel et barbare et en instaurant, en nombre suffisant, de réels lieux d’asile humanisants.