Dans cette exploration patiente et minutieuse de l’expérience et de la théorisation psychanalytique du rêve, Maurice Dayan propose au lecteur de sortir des évidences reçues pour des réflexions troublantes, qui dégagent des enjeux méconnus des thèses classiques mais aussi réinterrogent celles-ci et proposent à la pensée psychanalytique des déplacements significatifs.
L’insistance porte d’abord sur l’événement du rêve, oiseau de nuit radicalement solitaire et fugitif, totalement irréductible au souvenir du rêve, et plus encore au récit du rêve. La distinction claire et systématique entre ces points de vue pourrait apparaître comme un raffinement phénoménologique ; elle se révèle au contraire riche d’enseignements, permettant d’interroger la communication du souvenir d’un rêve à un tiers comme une autre expérience que celle du rêve, dont les paramètres méritent d’être eux aussi examinés pour eux-mêmes. Car le vouloir-penser de l’état vigile implique un désir de maîtrise et de réduction de l’inconnu. Il s’agit pour l’auteur de rendre au rêve l’étrangeté du rêver, et de penser l’événement qu’il représente. Rêver est un mode original du penser. Il s’agit de rendre intelligible ce qui apparaît en ce champ, qui est référentiel pour la pensée psychanalytique qui opère en ses moments les plus féconds des ruptures avec le mode de penser réglé sur la cohérence interne et la référence à la réalité.
Des passages passionnantes discutent la causalité interne au rêve, sa différence d’avec l’hallucination, les déplacements de la pensée freudienne dans les divers écrits se rapportant au rêve, la question difficile du statut et de la forme des pensées latentes.
L’ouvrage s’organise du plus accessible au plus énigmatique : ce qui caractérise les récits de rêve (« Paroles de rêve »), l’examen des enjeux de la distinction fondamentale entre dormir et veiller, la spécificité du rêve et de sa formation (« Matière à rêver), le « penser en image » du rêve et la question du statut inconscient du rêve et des pensées latentes, la question du rêve comme réalisation de souhait et celle de l’angoisse et de l’effroi, enfin l’objet de l’interprétation. La fin du livre s’intéresse au penser rêvant, et récapitule une théorisation profondément renouvelée par l’examen des caractéristiques du rêve sous l’interrogation : « Comment s’invente un rêve ? ». L’attention portée à la discontionuité contribue à éclairer la façon dont des forces concourent dsans se connaître à l’invention d’un penser elliptique anonyme qui aide à cerner les relations entre le penser-rêvant et ce je qui se retrouve indéfectiblement au milieu des choses rêvées. « Le rêve nous pense pour autant qu’il fait confluer ces courants issus de lieux psychiques hétérogènes qu’aucune pensée de veille n’a précédemment rassemblés ».