Cet ouvrage sur la clinique des groupes rassemble des contributions sur différents types de dispositifs groupaux, avec des jeunes enfants, des adolescents ou des adultes, mais, en deçà de la diversité des exemples cliniques, l’ouvrage s’avère homogène en raison de la référence, implicite ou explicite, à l’œuvre de René Kaës. Le propos d’ensemble consiste à tenter d’expliciter les effets mutatifs des groupes thérapeutiques sur les participants, en interrogeant les processus en jeu dans le travail psychique de groupe, et en formulant des hypothèses théoricocliniques susceptibles de rendre compte des processus en jeu dans le travail groupal, qui ouvre sur cette possibilité de transformations psychiques.
Dans une introduction très claire et synthétique, Pierrette Laurent dégage deux conclusions des travaux des contributeurs, psychanalystes et praticiens des groupes : d’abord l’importance de la régression topique et formelle qu’exerce le groupe sur le psychisme du sujet singulier, ensuite le constat de l’homologie entre le cadre et certains aspects du fonctionnement psychique, notamment avec la métaphore de l’enveloppe psychique groupale, qui constitue un axe commun de repérage transférentiel et interprétatif. La régression, au fondement de la potentialité thérapeutique des groupes, permet la réactualisation de formations psychiques archaïques, préalable à de nouvelles liaisons destinées à élaborer cette matière psychique groupale : ce travail psychique groupal s’étaye directement sur la capacité contenante et métaphorisante du thérapeute. On peut toutefois regretter que cette référence omniprésente à la régression ne soit pas discutée à l’appui de la théorisation de la transitionnalité par Winnicott.
La première partie du livre concerne l’étayage sur le groupe du processus de pensée et des enveloppes sensorielles.
La réflexion s’inaugure par une contribution de Bernard Golse sur “L’émergence de la pensée et du langage dans les groupes de tout-petits”. L’auteur défend un modèle spécifique d’intersubjectivité, selon lequel l’intersubjectivité ne se développe pas à partir d’une indifférenciation totale entre l’enfant et l’objet primaire, mais à partir de phases interactives fortes, à certains moments de la journée. L’aide du groupe s’avère fondamentale, d’une part pour aider les enfants à construire leurs enveloppes psychiques en dérivation des enveloppes groupales, ainsi que leur bisexualité psychique, d’autre part pour leur faire éprouver une certaine malléabilité et une certaine narrativité. Deux autres contributions témoignent ensuite de façon très intéressante de la construction des enveloppes psychiques dans un groupe de jeunes enfants.
La seconde partie met l’accent sur la contenance, une des fonctions du thérapeute du groupe.
Trois auteurs (Pierre Privat, Hervé Chapellière, Claudio Neri) s’accordent à montrer que cette contenance nécessite la capacité du thérapeute à tolérer des vécus régressifs accompagnés de sensations-images, d’intuitions, et à formuler des paroles proches de l’expérience émotionnelle du groupe, avant la naissance d’une pensée plus élaborée. Dans un chapitre intitulé “La capacité négative du psychothérapeute de groupe”, Claudio Neri insiste notamment, à la suite de Bion, sur la capacité de l’analyste à ne pas comprendre, à rester dans le doute et dans la confusion. À l’appui du matériel clinique d’un groupe, il décrit l’importance de cette capacité négative à certains moments du groupe où le thérapeute doit abandonner la pensée logique ou métapsychologique pour accéder aux processus archaïques qui se développent dans le groupe. Une correspondance doit alors s’établir entre la disposition mentale de l’analyste et le champ, caractérisé par un pool transpersonnel d’émotions, de sensations et de parties de soi que les membres du groupe ont rejetées et abandonnées.
La troisième partie traite de l’emboîtement et de la séparation des enveloppes institutionnelle et groupale.
Didier Roffat montre à l’appui d’un groupe clinique d’enfants en âge de latence, placés sur décision de justice dans une institution, le rôle prépondérant joué par le “port d’attache institutionnel”, soit par les alliances et les pactes inconscients qui structurent la vie psychique institutionnelle et les liens entre l’institution et le groupe, constituant le fond du groupe thérapeutique. La contribution suivante d’Anelise Fredenrich développe ces articulations entre l’institution et la clinique des groupes ouverts en milieu hospitalier.
Enfin, la dernière partie, consacrée au travail psychique du groupe, contient des propositions métapsychologiques.
René Kaës reprend ici les thématiques de son ouvrage Les alliances inconscientes (1999)[1]. Il décrit d’abord quelques postulats sur lesquels repose la pratique thérapeutique groupale d’inspiration psychanalytique, fondée sur trois espaces de la réalité psychique. En premier lieu, le groupe forme une entité psychique propre, irréductible à l’espace psychique des sujets qui le constituent et le processus par lequel se forme la réalité psychique de groupe est celui de l’appareil psychique groupal[2]. C’est pourquoi le travail psychanalytique groupal nécessite un dispositif d’analyse et un cadre de référence différents de ceux de la cure individuelle. Le second espace psychique est celui des liens interpersonnels ou intersubjectifs entre les membres du groupe. Le troisième espace psychique s’avère celui du sujet singulier. Le but du travail psychanalytique dans les groupes consiste à rendre possible l’expérience de l’inconscient dans ces trois espaces, ce qui suppose la double expérience de l’abandon ou du rejet de parties de soi pour être dans le lien, et du dépôt ou de la projection de parties de soi dans le groupe, en les liant avec celles d’autres sujets dans des formations communes. C’est le repérage de la position du sujet dans l’intersubjectivité, dans son rapport à un autre et à un ensemble d’autres qui formera le travail spécifique de la situation psychanalytique de groupe. René Kaës met ces postulats de base à l’épreuve de son concept d’alliances inconscientes, dont la reconnaissance et le déliement se trouvent au fondement du travail psychanalytique de groupe. J. B. Chapelier propose pour sa part une réflexion sur les processus de sublimation dans les groupes. Enfin, dans le dernier chapitre du livre, Blandine Guettier reprend l’histoire du concept d’illusion groupale selonDidier Anzieu.
Pour conclure, René Kaës souligne que l’ensemble des travaux rassemblés dans l’ouvrage explorent d’autres dimensions que celle à laquelle a ouvert la cure psychanalytique individuelle : le groupe s’est peu à peu constitué en méthode d’investigation d’une réalité psychique inconsciente spécifique, inaccessible autrement, irréductible à celle de ses sujets constituants. Ce livre présente la qualité rare d’articuler l’approche théorique du groupe à une clinique concrète, très diversifiée, et bien corrélée aux propositions théoriques. Tel est l’intérêt de cette récente (2009) polyphonie du groupe, où la modélisation théorique des travaux antérieurs sur le groupe se poursuit, avec toute la richesse de la mise à l’épreuve d’une clinique conjuguée à plusieurs voix.