Ce n’est pas d’aujourd’hui que le décalque théorique opéré sur la thématique de la castration du garçon pour expliquer celle de la fille nous laisse insatisfait. Ce qui distingue l’ouvrage de M. Schneider et en constitue la vertu est de repérer dans le processus de constitution de la théorie freudienne, à la fois ce qui nécessite le surplomb par la référence phallique – qu’elle relie à un mode «synthétique» d’approche de la réalité à comprendre et à exposer (ainsi, dans l’Abrégé cette caractérisation du sexe féminin par l’absence du «Stück «...) et ce qui dans les textes où le «mode exploratoire» est prévalent, laisse place à nombre d’images du féminin que l’exigence de cohérence scientifique n’a pas encore condamnées à «choir dans les oubliettes» de la théorie.
Mais, au-delà de ce qui pourrait n’être qu’une mise en lumière d’éléments inintégrables déjà présents dans les premiers textes cliniques, l’auteur se donne pour tâche de montrer comment c’est en adhérant à «la protestation féminine» (chapitre 2) que, du cas de guérison hypnotique exposé en 1893 où Freud rencontre la psyché féminine (et son «trait démoniaque» de radicale rébellion) en proie au séisme de l’arrivée de l’enfant (qui deviendra «réparateur» plus tard), au vœu infanticide des «jeunes mères» de L’interprétation des rêves devant faire le deuil de leur liberté, que Freud, «crypto-féministe» écrira en 1908 «La morale sexuelle civilisée». Et que bien plus, explorant l’»effraction « et l’»expulsion» (chapitre 3) dans les «Études sur l’hystérie», découvrant le paysage «d’une féminité s’employant à faire barrage contre l’éventuelle irruption du vivant», il remettra en question le schème de l’expulsion thérapeutique. La métaphore du chameau passant par le trou de l’aiguille deviendra alors le modèle d’une «fente étroite» (l’Engpass, la Spalte) témoin de la défense qu’opposerait le moi-conscience à cette figure de corps étranger intrusif constitué par le thérapeute. C’est l’espace psychique lui-même qui prend forme dans la théorie avec le «Ne me touchez pas» de l’hystérique. C’est dire que l’admission dans «l’espace creux» féminin (le contraire du «trou» ou de la «béance») du pénis ou de l’enfant peut devenir le modèle du travail de la pensée – et de l’analyse – cette Aufnahmen du moi-conscience qui prend en lui le corps étranger initialement expulsé.
C’est à l’exploration des modalités que peut prendre le rapport qu’entretient la femme avec son espace intérieur (y compris dans la «fracture intra-féminine» – cf. chapitre 11) , en lien avec celles qui déploient des rejetons de cette métaphore de «l’espace creux» dans la théorie freudienne, que M. Schneider consacre l’essentiel de son ouvrage, explorant, à la suite de L’interprétation des rêves et des Études sur l’hystérie, l’origine sexuée de la négation (chapitre 7), la «déroute» manifestée par l’Analyse avec fin, l’analyse sans fin (ch 8 sur le refus de la féminité), en passant par nombre d’essais intermédiaires. Elle le fait en une «école buissonnière» – fort productive pourtant ! – qui nous fait croiser d’autres champs : littérature, esthétique, anthropologie et mythes...
C’est dans l’exploration du parcours de Psyché dans L’Âne d’or d’Apulée qu’elle voit un contournement de l’impasse obturant le thème œdipien (chapitre 12) et son dernier chapitre en forme de question (Y a-t-il une «symbolisation du sexe de la femme» ? ) affirme qu’il y a non seulement une différence des sexes, mais une différence des stratégies symbolisantes. Si le repérage phallique, «voie royale» d’un rapport d’ordonnancement, point d’ancrage d’une théorie «construite sur le modèle d’un barrage contre la crue féminine» (p. 296) permet la construction de l’»édifice», cœur de l’ambition théorique, de nombreux auteurs ouvrent des chemins de traverse (chapitre 13). On ne saurait «vouloir» le féminin ; on pourrait le rencontrer comme suspension de la logique phallique, actualisation d’une radicale exposition à l’altérité.