Ce premier volume de publications des journées d'études de la Société Européenne pour la Psychanalyse de l'Enfant et de l'Adolescent est une grande réussite. Il s'organise à partir de la conférence de Thierry Bokanowski sur le concept ferenczien de "nourrisson savant", figure de l'infantile, pour aborder le trauma et les situations d'asphyxie de la vie psychique. Ferenczi cherche, par le biais des retrouvailles du langage de l'enfant dans l'adulte, à ce que se reproduisent dans la cure "les processus traumatiques du refoulement originaire". Le rêve typique du nourrisson savant qui donne de sages conseils pour porter secours à un enfant presque mortellement blessé, qui est sans doute un rêve de Ferenczi lui-même, témoigne du clivage d'un fragment de soi, sous forme d'instance autoperceptrice voulant se venir en aide, dès la toute première enfance. Il connaît deux temps d'élaboration dans l'œuvre de Ferenczi. Dans un premier temps (1923), le nourrisson savant tourne l'analyse en dérision, montre sa supériorité sur l'adulte, exprime un désir sexuel envers l'adulte (la nourrice), et surtout formule le désir de rentrer en possession d'un savoir refoulé de l'enfance. Mais dans une sorte de seconde topique, liée à ses élaborations du traumatisme infantile comme séduction réelle et confusion de langues entre adulte et enfant, Ferenczi va reprendre la problématique du nourrisson savant ; cette fois, c'est la mise en évidence d'un auto-clivage narcissique, intrapsychique, qui est au centre de la réflexion : chez le sujet coexiste une "partie sensible brutalement détruite", avec une autre "qui sait tout, mais ne sent rien". La peur devant les adultes déchaînés transforme l'enfant en psychiatre : "pour se protéger du danger que représentent les adultes sans contrôle, il doit d'abord savoir s'identifier à eux."
Réagissant à cette reprise complexe et claire du propos ferenczien, Dominique Arnoux s'attache aux "langues multiples de la perception", explorant la pensée en acte au bord du désespoir qui tente un appui "auto" grâce à un dédoublement en soi de la part abandonnée et blessée. La misère d'objet et les défenses de survie interrogent sur les conditions de l'intégration des émotions primitives ; c'est en s'acheminant dans la voie perceptive que l'analyse libère. Florence Guignard souligne comment l'instance autoperceptrice, dans des contextes de Hilflosigkeit non apaisée par une mère suffisamment bonne, permet la mise en place d'un objet interne, trop idéalisé, certes, mais capable d'apporter à l'enfant en détresse à la fois la perception de cette détresse et la protection d'un surmoi. Le nourrisson savant s'autocélèbre plutôt que de faire face à la "terreur sans nom" (Bion) d'une confrontation avec l'objet maternel primaire. Rémy Puyuelo donne la parole à une patiente qui s'affronte à l'idée radicale d'un "je n'aurais pas dû naître" avant d'évoquer ceux qu'il nomme "les enfants du limbe" et parle d'un au-delà du trauma en insistant sur le mode de présence de l'analyste. C'est aux conditions du changement psychique après la "longue onde" de la catastrophe que s'attache Franco Borgogno, tandis que François Sacco met en évidence le "temps défiguré" que supporte la figure du nourrisson savant. Émotion et pensée sont convoquées ensemble dans cet ouvrage qui précisément travaille à surmonter un clivage radical, vital, entre ces deux registres.