Ce mélancolique est un analysant de C. David : il a perdu ses deux parents à l’adolescence dans un accident d’une grande violence traumatique. Le deuil n’a pas véritablement été accompli et le tableau clinique résultant porte la marque de ce « suspens », sans qu’une « mélancolie » véritable se soit développée. Au cours de la cure, des rêves se multiplient et un cauchemar très impressionnant apparaît où il se trouve obligé de plonger ses mains dans une matière horrifiante, gluante, informe, qui lui évoque des cadavres en décomposition : ses parents ?
Ch. David est frappé par le contraste entre la richesse onirique produite par cet homme et l’absence d’associations qui pourraient permettre une élaboration. Il voit là un exemple de ce qu’il désigne sous le terme de « résistance du ça », « la plus coriace des résistances », opposant une immense force d’inertie aux tentatives mobilisatrices et plongeant le psychisme dans une sorte d’immobilisme, de gel, de « jachère »..
Comment donc, le psychanalyste peut-il travailler avec l’informe ?
En l’acceptant, en reconnaissant ce terreau du psychisme, situé « hors du champ intentionnel, hors finalité psychique, même primaire. »
En supportant l’absence de sens, en acceptant « l’infigurabilité, voire l’inintelligibilité » : car les poètes et les psychanalystes doivent savoir que « la nuit est nécessaire... au jour ».
En utilisant pour penser d’autres supports que des mots, trop étroitement signifiants, en se gardant de la « folie du sens » pour communiquer, c’est à dire sans doute, avant tout, en adoptant une « attitude psychique dénuée de toute arrogance doctrinale ».
A l’opposé de cet « informe », Ch. David montre aussi un « trop de forme » : l’érotomanie, une des multiples figures de distorsion morbide de la psyché. Elle ouvre en effet une question qui concerne le « devenir amoureux » de chacun d’entre nous mais aussi la fécondité de la cure analytique : « faudrait-il au préalable être aimé ou le croire ? » ... pour « tomber amoureux » mais aussi pour que l’analyse opère comme il est souhaitable : comme un « travail d’affect » autant que de pensée. La cure psychanalytique pourrait alors se comprendre comme une érotomanie douce, provoquée, dirigée.... ?
Dans sa réflexion sur cette étrange activité qu’est l’analyse, qu’il tient à maintenir soigneusement éloignée d’une quelconque ingénierie de l’âme, Ch. David plaide donc pour que celui qui pratique ce métier impossible « boive frais » (L. Börne, L’art de devenir un écrivain original en trois jours, 1823) et sache s’abandonner à sa musique intérieure.