Christopher Bollas a commencé sa formation en Californie par des études littéraires. Il a démarré sa carrière, par hasard, dit-il, propulsé auprès d’enfants psychotiques et autistes, ce qui a été pour lui « un baptême du feu d’une importance profonde et durable ». Puis, il a été formé à la Société Britannique de Psychanalyse. Il se situe dans le courant de Mélanie Klein, de Bion, mais on le sent surtout très proche de Winnicott. Il fait partie des analystes anglo-saxons qui ont soulevé le défi de prendre des patients schizophrènes en traitement psychanalytique. L’objectif de ce livre « est de nous pousser à repenser la schizophrénie ».
A David, adolescent qui fait une décompensation schizophrénique, Bollas demande à quel moment il a su que quelque chose de crucial avait changé en lui. « « Quand le soleil a explosé », lui répondit-il. Il fait référence à une expérience hallucinatoire traumatisante survenue dix ans auparavant, où il a vu, à l’école, par la fenêtre, le soleil exploser ; personne n’a compris à quel point cette expérience était réelle pour lui. C’est cet épisode qui donne le titre assez énigmatique de l’ouvrage.
Loin d’un discours universitaire, il rapporte à chaque fois comment il est engagé avec tel patient, dans telle institution, à telle période de sa vie. En cela, la forme rejoint le fond, c’est à dire sa théorie de la schizophrénie, puisqu’il préconise justement, qu’au moment où le jeune schizophrène manifeste les premiers signes de l’effondrement, il faut le ramener à la réalité en lui demandant : « ça se passait quand ? à quel endroit ? décrivez-le moi ». Il s’agit d’éviter à tout prix l’enfermement qui risque de se produire, enfermement hospitalier, enfermement pharmacologique, enfermement dans un monde psychique de plus en plus inaccessible, isolement et déshumanisation. « Il est crucial qu’il y ait quelqu’un pour la personne à qui parler pendant de longues périodes de temps, peut-être plusieurs fois par jour, pendant des jours, et si possible des semaines ». Bollas instaure avec eux une relation empathique, tout en disant que les autistes, les psychotiques, les schizophrènes vivent dans un monde très différent du nôtre.
De chapitre en chapitre, Bollas raconte ainsi les différents épisodes de sa longue carrière, depuis les années 60, qui correspondent aux différentes périodes de sa vie personnelle. D’un pays à l’autre, dans des institutions variées, avec des enfants et des adultes, en des lieux divers. Mais il a aussi consacré un temps considérable à la pratique libérale dans son cabinet londonien. « J’ai vécu dans cette pièce cinq jours par semaine, dix heures par jour, pendant pratiquement vingt ans ».
Ces observations cliniques et ses élaborations théoriques s’appuient à la fois sur cette expérience longue, riche, approfondie, et témoignent d’une très grande originalité, qui l’amène à des approches innovantes, inattendues, souvent à l’écart de l’orthodoxie psychanalytique.
Il y a des séquences cliniques étonnantes. Tantôt il intervient très activement, concrètement dans un dialogue qui ressemble à une conversation, mais sans jamais perdre le fil analytique et le souci de l’interprétation. Tantôt il tolère des mois entiers de séances silencieuses, pensant que le patient se parle à lui-même, et qu’il finira par lui parler et à dire, ce qu’il se passait en lui, où il était, car il s’agit bien d’un voyage.
Bollas témoigne d’une très grande tolérance à l’égard de la folie du patient Il fait preuve d’une infinie patience, Cette capacité de compréhension s’appuie sur la conviction que le schizophrène a beaucoup à nous apprendre. Bollas considère que ses symptômes sont des « solutions brillamment inventives pour leur situation difficile ». Il a du respect pour leur courage.
Le dernier chapitre du livre raconte l’étonnant traitement de Lucy. Retourné en Amérique, Bollas vit six mois par an dans une ferme isolée du Dakota-du-Nord, où il fait des traitements par téléphone et Skype. Lucy est une écrivaine, de 55 ans, atteinte de schizophrénie, vivant complètement isolée sur une île au fin fonds de la Norvège. Et là, pendant des années, elle téléphone à Bollas, cinq fois par semaine, avec une ponctualité indéfectible. Les derniers mois de leur « collaboration », c’est le mot qu’utilise Bollas, et non pas traitement, elle lui demande des photos du Dakota et de lui décrire ce qu’il voit. Après tant d’années de séances téléphoniques plutôt houleuses, agitées par des projections délirantes et des angoisses de persécution, le Dakota-du-Nord et son île « étaient comme des objets qui nourrissaient et l’un et l’autre tandis que nous luttions pour l’aider à trouver son esprit ». Le cas de Lucy est exemplaire de l’extrême originalité de Bollas et de son talent pour rendre compte de la clinique et de la théorie sur un mode narratif.
Simone Korff Sausse