Si la psychanalyse risque de tourner en rond, selon les auteurs, c’est à partir d’une position restrictive “consistant à concevoir que l’œdipe et la sexualité représenteraient à eux seuls l’alpha et l’oméga de toute psychogenèse”. Dans le fil des élaborations de ces dernières décennies autour de la clinique et de la théorie du narcissisme, et de leurs propres travaux antérieurs, Jean Bergeret et Marcel Houser proposent de ne pas s’en tenir aux conceptions du “prégénital” et d’enquêter sur “les conséquences décelables dans certaines pathologies d’adultes, de traumatismes ou de frustrations graves survenus au cours de la vie intra-utérine”..
La première partie de l’ouvrage, intitulée “Le préconscient des analystes”, est une investigation passionnante, partant de Freud, Abraham, Ferenczi.... et jusqu’aux auteurs contemporains, en passant par les grands successeurs – investigation du peu d’intérêt (manifeste) de tous pour les vécus de l’époque fœtale. Ce large panorama donne lieu à des examens des contenus latents analysés à la lumière de quelques éléments biographiques auxquels sont rapportés les théorisations.
C’est aux auteurs qui se sont directement intéressés au fœtus qu’est consacrée la seconde partie de l’ouvrage, qui examine les travaux en différentes langues de chercheurs pas forcément psychanalystes, dans un souci déclaré de ne pas fuir la transdisciplinarité (un chapitre de la partie théorique de l’ouvrage est confié à un spécialiste de biologie animale) et avec le sentiment qu’une congruence est à l’oeuvre quant aux résultats actuels des recherches: la vie serait surtout faite de continuités et d’articulations et non seulement de discontinuités et de ruptures.
Œdipe, “fœtus monstrueux”, le petit Hans, “enfant sans mère”, Léonard sont convoqués tout d’abord dans la partie clinique de l’ouvrage, suivis de Grenouille, le héros de P. Süskind. Puis des cas de patients sont repris, et examinés à partir de questions posées aux analystes par d’évidentes répétitions, relatives à des scènes précoces particulièrement dramatiques sans l’élaboration desquelles aucune avancée (réparation narcissique, rôle symbolique organisateur de l’oedipe) ne peut se produire. Le cas de Thibaud est rapporté à la question de l’étiologie lointaine des psychoses.
Les chapitres 11 à 17 proposent quelques pistes théoriques, de la violence du fœtus (et de la mère) à ce que pourrait être son “objet”(objet partiel “non-soi”?) – les auteurs se refusant à changer de terminologie pour leur propos et invoquant la “ relation ” sujet-objet pour maintenir le terme quel que soit le statut conféré à cet objet et son mode de représentation possible pour un “sujet” au statut métapsychologique ou psychogénétique qui reste à discuter. Un questionnement des hypothèses de Laplanche et Pontalis concernant les fantasmes originaires (origines du seul fonctionnement imaginaire œdipien) propose quelque chose comme une translation en amont des trois fantasmes fondamentaux, dans le registre narcissique, prenant acte des récentes évolutions de la pensée de J. Laplanche, et un abord de la notion de “fantasmes originaires” à quatre niveaux différents (ch.13). La nécessité de mener les cures de cas réputés “très difficiles” jusqu’à l’élaboration des traumatismes précocissismes (en période fœtale) est affirmée par les auteurs qui ne nient pas la difficulté de la tâche. Des pistes de recherches en rapport avec le sujet sont proposées : sur l’affect, le rêve, la régression, l’homosexualité.. L’ouvrage se clôt (terme que récuseraient les auteurs, appelant les collègues à la réflexion et à l’échange) sur l’évocation de certains “aspects thérapeutiques” fermement et fort clairement exprimés, qualité qui concerne par ailleurs l’ensemble de l’ouvrage.