Psychanalyste, professeur de psychologie à l’université de Poitiers, Pascal-Henri Keller, auteur de La médecine psychosomatique en question, expose avec conviction et rigueur sa conception des rapports entre le somatique et le psychique. Chaque chapitre commence par un cas clinique illustratif de la problématique et des enjeux qu’il comporte. L’attention prêtée aux mots, à leur usage et à leur polysémie caractérise aussi les analyses informées et acérées qui réexaminent la discussion classique entre monisme et dualisme. Le corps médical et objectivant s’y articule avec l’humain conçu comme subjectif qui est corps de culture.
Le texte analyse les points de vue de Damasio, Edelman, Jeannerod ou Eccles, proposant une vision antinomique du cartésianisme dont il montre l’héritage scindé entre un dualisme absolutisé (la pensée détachée de la corporéité) et un monisme qui reste construit sur le modèle de la glande pinéale régulatrice. L’ouvrage cherche à sortir de cet enlisement théorique, et propose une modification de perspective dont l’ambition méthodologique est importante. Il insiste sur l’impossibilité du monisme, l’échec inévitable de toute psychobiologie qui réduit le psychisme à l’objectivable somatique. Mais il ne maintient pas un dualisme classique, insistant au contraire sur la remontée de la corporéité dans la conscience, soulignant les facteurs transformationnels de la présence du thérapeute (le transfert) et des mots (transfert sur la parole). La vivacité dialectique se met ainsi au service d’une pensée freudienne renouvelée par la prise en compte des avancées des neurosciences.
L’action de l’esprit sur le corps fait habituellement l’objet d’un relatif consensus ; objet de toutes les attentions du fait du marché colossal des psychotropes, le livre signale que l’action du corps sur l’esprit est cependant moins étudiée. La réflexion sur la puissance de la parole, dont témoignent notamment le phénomène placebo et l’hypnose, est habituellement négligée au profit de leurs seuls effets sur le corps. Mais ce qui est ignoré sous une forme fait retour sous une autre. L’énigmatique dalectique entre événements mentaux et événements neuronaux, stimulante, mérite d’être traitée non pas comme une division entre esprit et enveloppe corporelle, mais comme l’expérience de la division intime entre l’être humain et son propre discours.