Martine Bacherich, épouse de Wladimir Granoff, a choisi parmi les textes introuvables ou inédits de W. Granoff ceux qui constituent ce recueil, qui comporte également des extraits de sa correspondance privée. Les textes s’échelonnent depuis les débuts de sa pratique (1949), jusqu’à la fin de son œuvre (1997).
C’est après un long silence qu’il reprit en 1973 la tenue d’un séminaire (Filiations, puis La pensée et le féminin). Sa rigueur dans le questionnement théorique – il suggérait de traduire Denkzwang par le « nécessaire-penser » – est la condition de la liberté d’inventer, dans une pensée qui sait prendre appui sur les métaphores nées dans les séances. Ceci supppose le retour sur les échecs, comme le fit Freud, et le recueil commence par le récit d’une cure qui tourne à l’impasse, dans l’insistance de l’impossible à dire et du désir d’analyse qui fait le désir de l’analyste ; Granoff nous montre sa relecture dans l’après-coup, dans un dialogue avec celle qui fut sa patiente et ne put supporter le désir et le pouvoir qu’il avait de la guérir…
L’auteur nous livre aussi un article sur le fétichisme qu’il rédigea seul et signa avec Lacan et le commentaire qu’il en donne, à nouveau dans l’après-coup, fait revivre la fièvre de ces années de pionnier qui suivirent la rupture de 1953, période évoquée également dans un entretien avec A. Vergote et F. Martens. Des considérations sur le temps (1956), sur le dessin d’enfant (1991), une conférence prononcée pour le cinquantenaire de S. Freud à l’invitation de Conrad Stein (1989), une discussion des enjeux du texte freudien sur l’analyse profane (1965), la question de l’orthodoxie en psychanalyse, et même le souci de la paix se suivent sans souci de l’ordre chronologique, ce qui est parfois déroutant pour le lecteur. Mais nous noterons surtout deux articles consacrés à Ferenczi, car Granoff fut un des premiers à faire connaître sa pensée ; les titres en sont par eux-mêmes éloquents : « Remédier à l’irrémédiable », et « Cure and care » ; outre la pertinence de la réflexion sur la clinique ferenczienne, il est passionnant de voir Granoff nous exposer en quel sens et dans quelle mesure il se reconnaît comme ferenczien. Ces considérations s’éclairent plus encore à la lecture des lettres de w ; Granoff qui cloturent le recueil, lettres à son père qu’il veut convaincre, et surtout à sa mère qu’à soixante cinq ans (tandis qu’elle en a quatre-vingt sept – et à nouveau alors qu’elle est âgée de quatre-vingt seize ans) il accuse douloureusement de ne pas le comprendre. La lecture de ce recueil nous met donc en présence de l’homme que fut le psychanalyste Granoff, dans ses sentiments en même temps que dans son travail, et la lecture en est émouvante en même temps que stimulante ; elle nous met en présence du meilleur de la préoccupation de ceux qui s’allièrent pour un temps à Lacan et contribue à faire de nous des héritiers de cette génération d’analystes, par-delà les divergences d’école qui furent si violentes et douloureuses.