Membre de la Société psychanalytique de Paris, Gabriel Burloux livre ici le fruit de 25 années d’expérience auprès de patients douloureux chroniques, rencontrés notamment dans le cadre de la consultation de la douleur à l’hôpital neurologique de Lyon.
L’ouvrage est un triptyque.
La première partie s’intéresse aux “ évidences ” et mystères de la douleur, à la douleur dans la vie de Freud mais aussi à la douleur dans son œuvre. L’idée développée est que “ toute douleur a le génie de retrouver les blessures, les pertes et les manques d’autrefois. Car elle est un traumatisme, le premier d’entre tous ”, qui va déclencher une chaîne de répétition. La surprise est de constater que la douleur a “ l’aptitude de s’auto-aggraver dans le cadre d’une relation établie pour l’amender ”. L’idée de Freud reste néanmoins valable : le corps et sa douleur protègent d’une souffrance morale plus intense. Il s’ensuit que la douleur constitue bien une tentative de guérison. Dans son œuvre, notamment dans l’Abrégé de la psychanalyse, écrit un an avant sa mort, Freud envisage deux sources de résistance chez le patient en analyse : le besoin d’être malade et le besoin de souffrir.
La deuxième partie est une étude clinique de la douleur dans le cadre de trois descriptions nosographiques, qui sont aussi trois modèles de traumatismes : l’hystérie, l’hypochondrie, la névrose post-traumatique. L’énigme de la douleur est abordée comme “ après-coup d’un avant-coup traumatique, récent ou au contraire lointain, voire pré-langagier ”. La douleur constitue une effraction traumatique nécessitant une perlaboration.
Dans l’hystérie, l’affect va être déqualifié, transposé en douleur. La douleur s’inscrit en lieu et place de l’affect. La représentation inconciliable a été rendue inoffensive grâce à la complaisance d’une zone corporelle. Le modèle psychogénique de la douleur serait qu’une zone algogène a été créée : “ zone algogène, donc érogène, donc hystérogène ”.
Dans l’hypochondrie, “ la sensation sensori-motrice investie et mémorisée devient image psychique, empreinte de douleur non consolée. La sensation douloureuse va s’inscrire de façon chronique et définitive ”. La construction psychique née de l’image psychique issue du corps ne se comprend que dans le cadre d’une relation défaillante à la mère. Le choix de l’organe surinvesti par la douleur est à comprendre avec “ ce qui fut jadis un souci maternel exagéré ou le souvenir d’une plainte corporelle non entendue ”.
Dans les douleurs post-traumatiques psychogéniques, les lombalgiques psychogéniques sont pris pour illustration dans la mesure où de leur discours découle l’histoire de leur vie, dans la capacité d’emblée présente à faire des liens et à condenser le récit. Quelque chose du sujet ne peut s’exprimer que par un corps actif et tout-puissant ou par un corps douloureux et passif. L’expression de la douleur apparaît comme l’après-coup de la période traumatique de la première enfance.
L’auteur fait un détour sur la douleur subie par les torturés ou celle des masochistes pervers.
La troisième partie est consacrée à la théorie et à la prise en charge psychothérapique de la douleur au sein de la consultation de la douleur à l’hôpital neurologique de Lyon. Tout un questionnement est mené autour des raisons de l’existence de la douleur, de son intensité et de sa pérennité pour l’inscrire en douleur chronique.
C’est ainsi que l’auteur développe la notion d’“ algose ”, véritable solution psychique, mais solution douloureuse, comportant la capacité à investir la douleur par phénomène régressif, permettant l’usage du masochisme et l’établissement d’un équivalent avec l’hyperactivité pré-existante à l’installation de la douleur.
La “ vivance ” de la douleur témoigne des remaniements infligés au Moi. Des caractéristiques inhérentes au fonctionnement psychique de patients douloureux sont ici décrites comme la régression, le néo-narcissisme douloureux et la nécessité de la plainte.
Quant au travail psychanalytique, il visera à redistribuer l’énergie psychique mobilisée autour de la douleur, en faveur des investissements antérieurs désertifiés du fait même de la douleur. Le travail de la mise en récit va permettre un retour à la vraie vie.
Tout un champ de réflexion est ouvert sur la douleur comme affect régressif de notre temps, dans une société où la douleur du corps a le sens de venir exprimer une souffrance incapable de se décliner dans des mots, mais seulement en maux.
La lecture de cet ouvrage est riche de références théoriques, de conceptualisations nouvelles, d’illustrations cliniques. Elle offre une façon nouvelle de penser la douleur et légitime à merveille la place du psychanalyste dans des services de Médecine.