S'intéressant aux avatars de la représentation du corps humain dans la psyché, Janine Chasseguet-Smirgel montre les indices parfois éclatants d'une désorganisation du rapport au corps révélant le fantasme d'un corps éclaté, parfois inscrit jusque dans le réel. "L'explosion du corps propre devient alors le reflet d'un monde dont le démantèlement est ardemment souhaité". Relisant des auteurs chez qui l'extrémisme politique était associé à des tendances suicidaires, elle met en évidence l'orientation gnostique (formulée par le titre de la première partie : "atteindre la lumière") commune au corps désarticulé tel qu'il est sensible chez Michel Foucault et surtout chez Mishima, comme aux pratiques des "extrémistes du sexe" qui ont besoin du jaillissement du sang pour en quelque sorte faire advenir l'impossible. La perte de l'activité symbolique est impliquée par la violence désintégratrice du corps, destructivité à l'état pur dans le nazisme et le génocide, mais présente aussi dans l'œuvre de Mishima ou chez Pasolini. Et Foucault décrit longuement le supplice de Damiens au début de Surveiller et punir. La question du père et celle du suicide sont envisagées à partir de l'œuve de Mishima (notamment Le marin rejeté par la mer, de 1963).
La deuxième partie de l'ouvrage suit le fil de la révolte contre l'ordre biologique. Une certaine façon de concevoir l'égalité des sexes au nom de l'universalisme – l'idéologie queer de l'indétermination sexuelle – est en fait une "réinvention de la misogynie", marquée par la fuite de la mère et la destruction des différences ; la possibilité récente de choisir d'être mère est en effet remise en question par une volonté de "dématernisation", attaque contre le ventre maternel désireuse d'en abroger la puissance, en particulier juridique (cf Marcela Iacoub), maintenant qu'il ne s'agit plus d'un enfermement dans la fonction procréatrice mais de l'acccomplissement d'un désir et d'une réalisation de soi.
Un chapitre est consacré aux troubles alimentaires dans leur rapport à la féminité, dans la mesure où l'adolescente se révolte contre son propre corps confondu avec le ventre maternel ; les propos de l'auteur y sont illustrés par des citations fortes et convaincantes de Petite, de Geneviève Brissac ; anorexie et boulimie ont une visée autarcique, traduisant le désir de se passer des êtres vivants. Une tendance insistante à ignorer le développement et la maturation, et donc à tenir compte de la prématuration du petit de l'homme qui implique qu'il ait à apprendre, à tâtonner, à dépendre et à attendre est analysée sous le titre "Animal, mon frère" (en mémoire de M. T. Neyraut-Suterman).
Un dernier chapitre, Œdipe et Psyché, résume des réflexions sur l'état de la psychanalyse dans notre univers bouleversé, marqué par l'utopie de la jouissance et l'utopie égalitaire dans laquelle l'égalité est trop souvent comprise comme une négation des différences. Or la construction de l'identité, nécessaire à l'équilibre psychique, est liée aux identifications aux deux parents différemment sexués. Cette part de normativité est incontournable, sous peine d'être ramené à l'attente d'un surhomme qui est en fait inévitablement un dictateur, non pas tant mère du pervers en ce qu'il berce d'illusions que figure combinée archaïque et dévoratrice. Décréter les différences comme non significatives revient à refaire à l'envers le chemin de l'hominisation pour retourner à l'indistinction et au chaos, ce dont témoignent des œuvres littéraires, picturales et cinématographiques d'une intense crudité, sans culpabilité décelable, qui, tendant à promouvoir la déhiérarchisation des parties du corps entre elles, au profit d'un corps sans différences, suscitent jouissance ou terreur, perversion ou persécution – et visent finalement l'indifférenciation entre la matière vivante et la matière morte.