Rares sont les écrits consacrés spécifiquement au complexe fraternel. Et pour cause, associé le plus souvent au complexe d’Œdipe dont il témoigne l’un des déplacements, celui-ci ne fait pas l’objet d’un regard particulier. C’est donc le mérite de R. Kaës de pouvoir rassembler dans l’ouvrage consacré à ce sujet, l’ensemble des réflexions qu’il mène à propos du complexe fraternel, depuis plusieurs années, en en spécifiant les enjeux. Car pour l’auteur, « le complexe fraternel est un véritable complexe, au sens où la psychanalyse en a formulé la structure et la fonction dans l’espace psychique du sujet de l’inconscient. [Il] ne se réduit pas au complexe d’Œdipe […], il ne se limite pas non plus au complexe de l’intrus, qui en serait le paradigme. ». A ce titre, il s’organise tout autant sur un axe vertical que sur un axe horizontal, précisément dans le lien à un « autre semblable » dont la fonction de double narcissique, vecteur de la bisexualité psychique organise des configurations fantasmatiques dont celle du fantasme incestueux frère-sœur. Au-delà, la problématique du complexe fraternel sous-tend toutes les dynamiques du lien fraternel qui traversent la famille, les groupes et surtout les institutions. Et comme l’auteur s’y attache, l’on y retrouve à partir de là, les grands cycles mythiques qui animent le rapport frère-soeur (Caïn et Abel, Jacob et Esaü…) dans son étroite relation au couple parental, aux parents comme voie d’entrée dans la complexité de la création, de la violence, de l’ordre et du désordre groupal culturel. Et si l’on devait résumer l’une des thèses originales de l’auteur, elle proviendra de cette remise en chantier du seul « Complexe paternel » autoritaire au profit d’une « co-invention de l’autorité, entre les générations, une co-création de chacune par l’autre […] » ; une thèse permettant d’ouvrir l’écoute au niveau de la cure analytique , non seulement aux enjeux de déplacements alimentés par le complexe fraternel, mais aussi par la spécificité de son approche, les liens qui le sous-tendent dans l’organisation de la cure et les configurations groupales que celui-ci peut produire.
Comme toujours, les thèses de R. Kaës s’appuient sur ces nombreuses années d’exploration des phénomènes de groupe tout en cherchant à s’appuyer avec rigueur, sur l’ensemble des travaux qui ont été écrits sur la question. C’est la raison pour laquelle l’ouvrage se scinde en 10 chapitres, chacun explorant une dimension spécifique du complexe fraternel, de Freud à Lacan en passant par les thèses kleiniennes pour ouvrir de façon plus spécifique à la problématique des liens fraternels qui structure la deuxième partie de l’ouvrage. Soulignons ainsi l’intérêt à lire ce livre qui donne des pistes de réflexion face à « l’actualité » du fraternel en psychanalyse : que ce soit dans le récit des cures de nos analysants ou dans nos propres représentations institutionnelles, cette problématique reste, en effet, au cœur de l’humain, entre le conflit intrapsychique et les alliances intersubjectives organisatrices du lien social.