L’ouvrage est le cinquième numéro d’une revue annuelle qui se donne pour objet la mise à disposition, pour les psychanalystes francophones, de traductions de certains des articles marquants parus l’année précédente dans l’International Journal of Psychoanalysis (pour celui-ci, 2006, vol. 87). Y sont livrés à notre réflexion des élaborations cliniques et théoriques issues de traditions différentes – selon l’environnement linguistique bien sûr, mais pas seulement.
Neuf articles ont été sélectionnés cette année, et une “Controverse psychanalytique” intitulée « Mises en acte interprétatives et situation analytique » qui oppose John Steiner, de la Société Britannique, et Edgar Levenson, membre de l’Association Psychanalytique américaine et se situant « dans une perspective interpersonnelle ». L’enactment défini par Steiner comme « franchissant la limite entre pensée et action » s’il n’est pas reconnu et régulé entre dans « cette zone trouble entre la technique normale, l’erreur technique et la violation anti-éthique d’une limite ». Il livre dans son écrit initial des illustrations cliniques issues de sa propre pratique. Edgar Levenson, qualifiant de provocateur l’article de son confrère veut y voir une mise en équation de la pensée et de l’action, et plaide pour une compréhension de l’enactment comme « un processus continu et omniprésent ». La réponse de Steiner approfondit le débat en situant l’enjeu dans la nécessité pour l’analyste de reconnaître chez lui les expressions de sa résistance à la méthode et à la situation analytique, et propose « une réactivité librement flottante » aux mises en acte qui permettrait à l’analyste d’échapper à ce « surmoi fondamentaliste » que critiquent certains.
Un article de Jean-Claude Rolland (APF) est également soumis à discussion – les discutantes étant Trudy McGuiness, de la Société Britannique, et Ruth Stein (Société Israélienne et Société Américaine) : il s’agit d’une séquence de quatre séances d’une jeune fille gravement anorexique, en psychothérapie analytique depuis cinq ans (une, puis deux séances), dont il propose de qualifier en “névrose de destin” la structuration psychique complexe. La séquence clinique se termine par l’accès possible pour la patiente à une perlaboration du combat qui se livre depuis le début de sa maladie « dans les couches profondes de sa psyché, entre un surmoi “fou” et un moi faible” », sur une scène ouverte à la perception. La discutante souligne l’extrême différence de style d’intervention dans une clinique comme celle de J.C. Rolland et la sienne ou celle de ses collègues anglais. « Le Dr Rolland dit beaucoup de choses avec un minimum de mots », écrit-elle très simplement, et elle compare ce qu’auraient probablement été les contenus de ses propres interprétations avec les simples mises en lien faites par J.C. Rolland au cours des séances (les élaborations de ce qui se passe pour la patiente, pendant les séances et dans ses acting out, ne sont pas si différentes, remarque-t-elle). On peut repérer cependant la constance de la critique du silence dans le dernier paragraphe, quand Trudy McGuiness « se surprend » à se demander si « des commentaires de l’analyste aussi rares et concis n’apparaissent pas au patient comme nimbés d’une puissance incommensurable »… Ruth Stein dans ses “Commentaires” discute la faible fréquence des séances, et l’attitude de confiance en « les forces du transfert » qui semble dicter à l’analyste sa position de retrait (« un mur », dit la patiente). Elle regrette l’absence d’éléments suffisants selon elle sur la nature du contre-transfert de l’analyste, évoquant une « collusion masochique » de l’ordre de la répétition pour la patiente. On voit que cette critique rejoint ici la principale inquiétude de la discutante Trudy Mc Guiness.
Trois articles d’auteurs italiens figurent au sommaire, témoins de la vitalité que l’on sait. Stefano Bolognini (SPI) explore avec beaucoup de finesse « l’attitude interne » de l’analyste en consultation et en orientation dans des pages intitulées « Le métier de passeur ». Empathie, identification partielle, risques de séduction, liens au sein de la communauté des collègues, une attitude “concave” d’écoute, sont les thèmes abordés. Giuseppe Civitarese (SPI) considère les « rêves qui reflètent la séance » comme ayant pour intérêt essentiel de nous faire chercher du coté de « la forme de leur contenu ». Il postule une valeur mutative de ces rêves, avec une symbolisation (un travail de) qui s’en trouverait réactivée, et propose ce type de rêve comme modèle pour conceptualiser le travail analytique. C’est à la psychose que s’intéresse Franco De Masi (Société Italienne de Psychanalyse), dans « Retrait psychotique et renversement de la réalité psychique ». Ses vignettes cliniques à partir des « abris psychotiques » de patients qui sont en cours de travail analytique lui permettent de reconstruire l’épisode de retrait infantile et d’inférer que la dissociation d’avec la réalité à été méconnue voire encouragée par l’entourage, et que son aspect défensif se lie au plaisir d’expérimenter l’autosuffisance délirante et l’omnipotence.
C’est à la perversion que s’attache Svetlana Bonner, membre des Instituts de San Francisco et de l’Oregon. Elle dit être moins aidée dans sa clinique par les idées de Freud sur la perversion basée sur l’angoisse de castration, que par son énoncé énigmatique concernant la névrose comme « le négatif de la perversion ». S’appuyant sur le concept de « perspective réversible » de Bion, son approche de la perversion à travers le cas de son patient M.A. vise à donner à voir au-delà du jeu cynique, l’ultime tentative d’un patient pour se protéger par un paravent-excitation de la terreur d’une catastrophe anticipée, et le sous-titre de son article « Un marchandage de serviteur » est « La perversion comme survie ».
Deux articles de Thomas Ogden (San Francisco) sont repris dans ce numéro : le premier est une lecture par l’auteur du Déclin du complexe d’Œdipe de Hans Loewald, long article paru initialement en 1979. T. Ogden intitule son propre article: « Œdipe revisité », convaincu qu’il est que, replacé dans l’ensemble de l’œuvre de H. Lœwald, Le déclin du complexe d’Œdipe constitue « un tournant dans l’histoire de la pensée psychanalytique ». T. Ogden choisit de considérer cinq points qu’il considère comme clés, et fait une lecture très serrée de l’article, dont les développements concernant le parricide ne sont pas les moins intéressants. L’autre article d’Ogden sélectionné par les rédacteurs de l’Année Internationale est « Enseigner la psychanalyse », à quoi Th. Ogden s’intéresse fort depuis 25 ans. Son argumentaire pour une lecture des textes (psychanalytiques) à voix haute, pour l’utilisation des présentations cliniques comme expériences de rêves collectifs, pour la lecture de poèmes ou de fictions dans le but de sensibiliser les candidats à la manière dont le langage peut être utilisé par le patient et par l’analyste, et enfin pour apprendre à oublier ce qu’on a appris… est à vrai dire assez séduisant !
C’est sur « Les vicissitudes dans la vie adulte des expériences traumatiques de l’adolescence » que s’interroge Jorge Luis Maldonado, de l’Association Psychanalytique de Buenos Aires. Pablo est un patient adulte qui a subi une grave perte d’idéal à la puberté, et dont le problème central dans l’analyse a été les troubles de la symbolisation. Vécu traumatique dont l’auteur illustre son propos qui est entre autres de mettre en garde l’analyste contre la sous-évaluation des événements traumatiques, qui mettrait celui-ci en situation de répéter par ses interventions l’agression initiale. La difficulté d’articuler les concepts de trauma et de fantasme est ici une fois encore au centre du débat. Pour J.L Maldonado, la sous-évaluation de l’historicité du trauma expose à de graves errements du contre-transfert, l’activité analytique pouvant alors se teinter d’une coloration iatrogène (par le jeu de l’identification projective).
Björn Salomonsson, de la Société Suédoise, est psychiatre et psychanalyste d’enfants et d’adolescents. Il examine spécifiquement les conditions d’un travail analytique avec des enfants souffrant d’hyperactivité avec déficit de l’attention (ADHD) ou de troubles de l’attention de la motricité et de la perception (DAMP). Il discute, outre les conditions d’un tel travail qui peuvent nous sembler familières (comme la non-prescription médicamenteuse par l’analyste), l’impact des mots utilisés par l’analyste dans ses interventions, ceux-ci étant souvent perçus par l’enfant comme des objets concrets dangereux. Il énonce des recommandations techniques précises. Son expérience s’alimente d’un travail avec des couples mères-infans où l’observation du processus sémiotique complexe à l’œuvre l’amène à proposer une classification des représentations constituées par l’interaction mère/bébé non plus selon la bipartition freudienne représentation de choses-représentations de mots, mais en reprenant les catégories de C.S. Peirce : icônes, indices, symboles.