Cette petite brochure soulève des questions essentielles. L’amour de soi y est présenté comme l’expression, et l’expérience, la plus énigmatique qui soit. C’est à cette économie du « Soi qui s’aime » que réfléchit l’auteur de cette communication (qui semble issue d’une conférence), à partir de l’histoire de Colette à qui Julia Kristeva a déjà consacré un livre très approfondi, l’un des trois consacrées à des figures de femmes : Hannah Arendt, Mélanie Klein et Colette. Dans les pages écrites par Colette, s’aime un gigantesque soi élargi aux plantes, aux bêtes et à tous les plis de l’Etre lui-même. Il s’avoue en fin de parcours, confondu avec une figure maternelle gigantesque » Sido ou les points cardinaux », mythifiée et idéalisée autant qu’elle avait été contestée et négligée. La jouissance autre de la sublimation sous-entend un retournement de la perversion en sublimation » de telle sorte que la perversion elle-même s’y résorbe et, sans disparaître, s’y recueille, mais comme une pureté. »
L’amour de soi est une lente et pas toujours possible création du sujet parlant, construite dans et par l’introjection du bon objet, et grâce à l’identification primaire. Certaines expériences de sublimation et de pratiques esthétiques témoignent d’un amour de soi extravagant, appuyé sur le narcissisme, mais qui va bien au-delà ; elles aident à percevoir ce qui peut être de façon plus obscure sous-jacente à l’identité des sujets du refoulement et de la sublimation. Dans les processus sublimatoires, le sujet surinvestit ses propres moyens d’expression, qui se confondent avec les objets réels, voire s’y substituent, et deviennent les véritables objets d’amour de soi. Cette logique de sublimation est également à l’œuvre dans la création de la chimère dans la cure analytique comme dans l’amour de soi le plus modeste. L’alchimie de cette reconstruction amoureuse du monde est complexe, et il faut reconnaître à la perversion (ou à la « mère-version »…) la part qui lui revient dans ce laboratoire d’un Soi sans limites. Réaliser le fantasme en réécrivant l’ infantile, voire sublimer le clivage supposent la perversion comme fond sexuel originel sur lequel se découperont les structures ; perversion et sublimation ont partie liée dans le nouage entre pulsion et idéalisation, comme dans le caractère partiel (au sens des pulsions partielles) des voies de satisfaction. La sublimation implique une désintrication pulsionnelle, et « l’apparente sérénité narcissique de l’aventure sublimatoire expose, en réalité, le sujet qui s’y engage au risque d’une catastrophe psychique dont seule peut le sauver… la continuation de la créativité sublimatoire elle-même », jouissance extrême et contagieuse qui comporte ses propres risques d’exaltation maniaque et de déni de la réalité.