Comment penser les destins de l’affect – terme qui est un germanisme, attesté en français seulement depuis 1951–, ses transformations, ses complexifications ? André Green (dont Dominique Cupa présente les élaborations sur l’affect, qui ont fondé sa prise de distance avec la pensée lacanienne) proposait de nommer de considérer l’» affect » comme un terme catégoriel regroupant tous les aspects subjectifs de la vie émotionnelle, suivant ainsi Freud qui n’a pu se limiter à une définition strictement économique de l’affect.
C’est Claude Le Guen qui nous propose ici de suivre la pensée freudienne des affects à l’angoisse, en une étude fouillée qui en construit la définition et montre les étapes de son élaboration, notamment en 1915 (où sont mis en évidence les destins différents de l’affect et de la représentation) et en 1923 ; l’élaboration en 1926 d’une véritable théorie de l’angoisse, qui fait de la perte de l’objet la condition déterminante de l’angoisse, sans remanier sa compréhension des affects, les situe plus précisément. L’affect s’impose à Freud comme une manifestation première de la pulsion, dès le début de l’œuvre et les apports déterminants de 1926 et de 1932 (Nouvelles conférences) consistent surtout à conceptualiser ce qui n’était encore que décrit. Réaction à une perte, l’angoisse, inadéquate certes, est inévitable et nécessaire, dans sa double origine, conséquence directe du facteur traumatique ou signal qu’il y a menace de réapparition du facteur traumatique.
La place de l’affect dans les théorisations de Mélanie Klein, de Wilfred Bion et de Winnicott, est présentée par Cléopâtre Athanassiou, particulièrement attentive aux liens entre la place reconnue à l’affect et le rôle conféré à l’objet dans la construction du moi. Chez M. Klein, le développement du moi est lié à l’attitude qu’il prend par rapport à la souffrance psychique, évacuée ou supportée ; la supporter, c’est s’engager dans la voie de la position dépressive, du don et de la créativité. Bion place l’affect et les processus de liaison au premier plan, et poursuit ainsi l’œuvre de M. Klein, en insistant dans sa théorie de l’émotion sur la construction des liens, ce qui caractérise aussi la théorie de la pensée, où tout est lien. La monographie comporte également un intéressant texte d’Hélène Deutsch sur la clinique de l’absence de douleur lors d’un deuil, particulièrement explicite dans le repérage des déplacements de l’affect.
La pensée freudienne contient en germe les deux tendances théoriques qui tendront à concevoir l’affect soit comme une décharge, soit comme un processus à fonction de signal, lié au moi. René Roussillon, dans cette seconde ligne, s’attache ainsi à déployer la « fonction symbolisante de l’affect ». L’ancrage corporel de l’affect est un repère essentiel et Claude Smadja montre la place de l’affect dans l’économie psychosomatique, tandis qu’André Ciavaldini, à partir de la clinique des auteurs de violences sexuelles, argumente une thèse intéressante et forte qui considère le recours à l’agir comme l’effet d’un affect inachevé.
Ces études denses et précises permettent des clarifications précieuses, et fournissent un instrument de travail et de réflexion remarquable.