C’est en psychanalyste que Françoise Dolto fonde, en 1979, La maison verte, un lieu d’accueil et d’écoute pour des familles en difficulté avec de jeunes enfants. Il n’existait pas, à cette époque, de ces structures de prévention des troubles précoces du développement qui seront mises en place avec la politique du secteur. La création de ce lieu a pris sa source dans la situation dramatique pour les enfants dans les années d’après-guerre, qui ont vu se multiplier, avec les orphelinats, les travaux sur les ravages psychiques des carence affectives précoces (tant en Angleterre, avec René Spitz, qu’en en France, avec Jenny Aubry).
Patricia Trotobas et Frédérick Aubourg, tous deux « accueillants » à La maison verte, témoignent avec ce livre de l’actualité et de la pertinence de ce dispositif. Par une théorisation claire, qui s’appuie sur des cas cliniques précis, parfois des vignettes, ailleurs des observations détaillées, ils montrent en quoi la structure permet la remise en route d’une associativité de la pensée à plusieurs dont les effets sur les enfants sont remarquables –parfois même spectaculaires.
Un ensemble de règles et d’instruments dictés par l’expérience de la vie en collectivité des enfants (une ligne rouge tracée au sol délimite un espace où les plus jeunes peuvent aller à quatre pattes sans risquer d’être renversés par les « camions » des plus grands ; ou bien un miroir disposé en hauteur n’est accessible que par une petite échelle, ce qui rend nécessaire l’aide d’un adulte), prend valeur de repérage symbolique par les interdits et d’appui à l’imaginaire. Leurs effets sont sensibles et utilisables autant avec les enfants qu’avec les parents. Dans ce lieu s’articule donc à la fois une fonction de contenance, d’accueil de la parole mais, en même temps, la possibilité d’une réorganisation psychique autour de repères symboliques. De cette conjonction surgissent des effets inattendus, des mises en récit d’histoires familiales et personnelles souvent oubliées ou bien dont les enjeux ont pu être déniés.
Une des grandes qualités du livre tient à l’habilité avec laquelle les auteurs parviennent à suivre et à rendre vivants pour le lecteur la circulation des affects, des agirs et des paroles, entre l’enfant, ses parents et chacun des accueillants ; faisant ressortir comment l’articulation entre l’individuel et le groupal peut faire surgir des formes signifiantes. La simplicité dans l’exposé masque en partie la grande difficulté de ce travail, en particulier dans ce qu’il engage du jeu transféro-contre transférentiel, parfois tendu et violent, toujours complexe qu’induit la puissante irruption sur la scène d’une sexualité infantile désorganisante.
Outre les particularités des « nouvelles parentalités », Patricia Trotobas et Frédérick Aubourg s’intéressent à un phénomène récent qui est celui, de plus en plus fréquent, et pour des périodes temporelles de plus en plus longues, de la présence dans la vie de nos enfants de « nourrices » ; des femmes immigrées pauvres ayant souvent la charge d’enfants de plusieurs familles en même temps tandis qu’elle- mêmes ont parfois laissé leurs propres enfants dans leur pays d’origine. Ces femmes font de plus en plus appel à La maison verte, ce qui amène les auteurs à s’interroger sur les nécessités propres à ces accueils particuliers, tant pour soutenir ces femmes, que dans leurs interventions avec les enfants qu’elles accompagnent.
Ce livre, traitant d’un sujet inhabituel, s’avère passionnant pour quiconque s’intéresse aux premiers temps du développement psychique et à ses difficultés.
Martin Joubert