Claude Balier est un psychanalyste grenoblois, membre de la SPP. Il travaille en prison dans un SMPR. Il a déjà écrit sur la violence telle qu’elle peut surgir dans l’agir de crimes majeurs, en 1988, Psychanalyse des comportements violents. Il nous livre aujourd’hui, dans ce livre collectif, l’évolution de ses travaux théoriques et cliniques et c’est passionnant.
Dans un tel cadre et avec des patients si particuliers il ne s’agit pas de psychanalyse classique mais du travail d’un psychanalyste. Pour les mêmes raisons les problèmes de contre-transfert sont majeurs. Ils nécessitent un travail d’équipe, ce que la structure du livre révèle. En interrogeant la péri-natalité (V. Lemaitre), la liaison psyché-soma avec l’étude de l’épilepsie et de la douleur (Annette Thomé-Renault) il cherche à préciser ce qui se passe au moment du traumatisme « pré-originaire » plutôt qu’originaire puisque avant toute relation d’objet.
Les défaillances de l’objet : abandon, rejet ou désinvestissement, donnent des états de détresse, d’agonie primitive. La bi-pulsionnalité, déjà là avant la sexualité infantile donne sa violence au traumatisme qui s’inscrit sous forme d’un manque avec son corollaire un besoin impérieux de retrouver cet objet nécessaire à l’autoconservation, pré-objet, plutôt, parce que mère et bébé sont confondus, qui apporte pourtant détresse et agonie. En fait un clivage isole un fragment de la personne qui correspond à la boucle pulsionnelle induite par le traumatisme, donnant un morceau de Moi « ramené à n’être plus qu’une fraction du Ça » (Freud, Abrégé) où règnent les pulsions libres. Un autre Moi peut toutefois se développer parallèlement.
Une situation particulière fait évoquer l’objet primaire (sous la forme d’un pictogramme pénétrant/pénétré), la détresse pointe. Le recours à l’acte vient alors sauver de la disparition dans l’autre indistinct. Au moment de l’acte criminel se produit « une régression extrême à un niveau proche de l’automatisme et du somatique, en deçà des représentations, où l’agir offre une issue quasi exclusivement économique à l’excitation générée par une terreur sans nom ». L’acte n’est pas la réalisation d’un désir irrépressible mais la réponse à un défaut de représentation. Après l’acte, le sujet clivé a l’impression que quelqu'un d’autre a agi, « c’est moi et c’est pas moi ».
Les structures de ces patients sont proches de la psychose froide et C. Balier reprend le schéma d’E. Kestemberg en le complétant pour y figurer le recours à l’acte.
A propos de la douleur, A. Thomé-Renault met en évidence les points communs avec les actes criminels : échec de l’hallucination négative et donc ratage de l’établissement d’un contenant, débordement d’excitations, défaut de masochisme érogène. Seul l’objet sur lequel s’exerce la destructivité diffère, le corps propre pour la douleur, le corps de l’autre dans les actes criminels.
Plusieurs pathologies sont étudiées selon le trépied de D. Zagury : psychopathie, perversion narcissique, psychose. Martine Edrosa nous parle des tueurs en série. Elle fait l’hypothèse d’un objet sacrificiel et se demande si cet objet sacrificiel (qui témoignerait d’une aire sacrificielle) n’est pas le ratage de l’objet transitionnel et si la symbolisation chez le patient ne s’organiserait pas autour de cet objet sacrificiel. Elle détaille en des pages passionnantes les trois temps de ce sacrifice et l’illustre par un cas clinique.
Théoriser des cas si difficiles n’est pas une mince affaire, la nouveauté de ce champ d’application de la psychanalyse contraint à la créativité. C’est bien ce qui ressort de ce livre où beaucoup de concepts introduits par d’autres sont mis au travail. Il est difficile d’en faire ici le catalogue, j’insisterai sur l’œuvre d’André Green, constamment utilisée, particulièrement l’hallucination négative et la position phobique centrale. C’est en toute logique qu’il préface l’ouvrage.
Peut-on apporter quelque chose, avec la psychanalyse, à ces patients ? C’est difficile mais irremplaçable. La prison ou la contrainte judiciaire ne doivent pas être écartées (un chapitre, écrit avec Reine Hadjhadj, est consacré à l’articulation Santé-Justice). La technique doit être adaptée et les auteurs insistent sur l’empathie et l’importance du regard, (cf L’enveloppe visuelle du Moi de Guy Lavallée).
Ce livre s’adresse à tous les psychanalystes puisqu’il traite de cas limites, particulièrement exigeants ici, et parce que l’on apprend beaucoup du travail fait dans des domaines parallèles au sien.