Comment parvenir à entendre la parole subjective de la personne handicapée sans la réduire aussitôt à la matérialité visible du manque ? Les auteurs sont partis du constat de la difficulté de tout un chacun, fut-il soignant, à s’identifier à la personne handicapée plutôt qu’au handicap lui-même. Entendre la parole, certes de la souffrance, mais aussi du désir semble mettre à l’épreuve, face aux personnes handicapées, le narcissisme de l’interlocuteur.
Ce livre, fruit de la réflexion d’un réseau inter-universitaire, aborde les difficultés liées au handicap sous un angle original. C’est la prise en compte de la sexuation de l’individu, qui selon Marcel Nuss est au cœur de cette difficulté. Les formes les plus sévères du poly-handicap nous confrontent, d’autre part, aux limites de nos capacités d’identification. Qu’en est-il de leur sentiment d’un « éprouvé d’existence » ? Georges Saulus assimile celui-ci à une forme persistante d’identification par l’adhésivité. Mais c’est aussi la douleur qui organise le schéma corporel et assure l’investissement de son corps par l’enfant et ses parents de manière inhomogène (Véronique Pautrel).
Mais comment parler à l’enfant ? Comment lui nommer et lui expliciter la nature de son handicap, son évolution et ses conséquences dans le déroulement de son existence ? Les mots, des alliés ou des traîtres ? s’interroge Simone Sausse-Korff. Le langage, véhicule nécessaire à la compréhension par l’enfant des émotions de ses parents, de leurs théories et fantasmes sur sa naissance, de la circulation entre eux de la culpabilité, est aussi le vecteur de tous les malentendus et de tous les doubles-liens qui entravent la pensée. Les mots, sont aussi ceux des professionnels, toujours plus édulcorés jusqu’à l’absurde, manière d’atténuer leur malaise. Entendre la parole dans sa toute sa charge pulsionnelle, c’est accepter une identification difficilement supportable pour le moi de la personne valide.
A chaque étape de l’existence, les soignants auront à faire face, avec la personne handicapée, à des difficultés certes inattendues, mais aussi nécessaires. Régine Scelles en veut pour preuve la confrontation, souvent douloureuse, des enfants à leurs pairs à l’occasion de l’intégration scolaire. Elle remarque que le groupe des enfants trouve souvent le moyen de réussir cette intégration, fut-elle au prix d’une certaine violence, et que, l’intervention des adultes, volontiers trop « protecteurs », n’est pas toujours souhaitable. La violence nécessaire à l’intégration trouve cependant sa limite dans la violence « maltraitante » y compris celle des soignants que Roger Salbreux et Albert Ciccone rapportent, in fine, à la culpabilité et au sentiment d’impuissance. Les tensions liées à l’adolescence, la question, redoutable, du vécu subjectif des acouphènes, la rééducation des traumatisés du crâne, ce sont là autant de questions particulières qui sont abordées ici.
Le livre se clôt sur deux textes originaux de Valérie Sinasson, psychanalyste à la Tavistock clinic de Londres et spécialiste reconnue des traitements psychanalytiques avec des enfants handicapés. A travers le traitement du petit Barry, elle nous montre comment la remise en route des circuits identificatoires par le jeu transféro-contre-transférentiel de la cure va permettre à l’enfant de construire une image de lui-même et un fonctionnement mental qui ne soit pas totalement englué dans l’identification au handicap et au manque. Elle nous montre comment le travail analytique, au delà des limites d’un « réel » imposé par le handicap, trouve ici néanmoins toute sa pertinence.