Ce livre propose une étude très complète du fonctionnement des équipes avec une conceptualisation psychanalytique. Cette démarche présente un grand intérêt, car selon Denis Mellier, « la clinique institutionnelle est le parent pauvre de la clinique et de la psychopathologie psychanalytique ».
L’auteur met en parallèle de manière très pertinente les souffrances des patients avec les souffrances des professionnels. Denis Mellier est professeur d’université de Bourgogne-Franche-Comté et psychologue clinicien. C’est de ce point de vue que se situent ses réflexions, celui d’un psychologue en institution, confronté aux conflits, enjeux de pouvoir, alliances inconscientes, mouvements contre-transférentiels, qui agitent la vie de ces établissements fondés sur la relation d’aide, mais qui risquent de se dévier des objectifs inhérents à la relation de soin. En effet, pour la psychanalyse qu’est-ce que c’est qu’une équipe ? Comment y intervenir ?« L’équipe n’est ni une simple question de bonne volonté, ni l’enfer de l’aliénation, mais un agencement de la réalité psychique qu’il reste encore à analyser. »
Denis Mellier ne cède jamais sur la théorisation nécessaire pour affronter ces situations institutionnelles et cherche à élaborer une théorie groupale de la fonction contenante des équipes. C’est l’objet de la première partie de l’ouvrage. En plus des auteurs classiques de la théorie des groupes, dont Paul Fustier et René Kaës, il se réfère principalement à la théorie de W.R. Bion de la fonction contenante qui est un outil très opérant pour comprendre et traiter les situations institutionnelles, considérées comme des ensembles intersubjectifs. Les possibilités de changement d’une équipe sont fonction de sa capacité de produire un travail de pensée et la possibilité de contenance de la souffrance des patients, que Denis Mellier appelle très justement et très joliment les «accueillis ».
La deuxième partie de l’ouvrage est plus clinique et méthodologique et présente plusieurs situations, à partir de séances d’analyse des pratiques, dont Denis Mellier dit qu’elle est « vraisemblablement la voie royale d’entrée dans la possibilité de travailler en équipe : indirectement avec ce qui fait équipe pour chaque participant, directement dans ce qui va « faire équipe » dans le groupe.»
Il s’agit de trouver de nouveaux dispositifs adaptés aux personnes accueillies qui relèvent souvent des cliniques de l’extrême, avec des situations de grande précarité et aussi de grande violence, ce dont traite le dernier chapitre du livre. Pour ces cas, les dispositifs classiques sur le modèle de la cure analytique ne sont ni suffisants ni adéquats et il faut en inventer d’autres, qui vont faire appel à des concepts nouveaux, comme le cadre, les enveloppes psychiques, les alliances, les organisateurs, les angoisses archaïques, la contenance, que l’ouvrage présente et développe de manière approfondie et détaillée. L’ouvrage de Denis Mellier se situe ainsi dans le courant de la psychanalyse contemporaine qui renouvelle les pratiques et les concepts.
À un moment où les équipes sont mises à mal, où les institutions sont dominées par des logiques d’entreprises, où le management ne tient plus compte des conditions du soin, où la rentabilité prend le pas sur les besoins du patient, ce livre est non seulement indispensable, mais courageux, car il tient le cap sur une théorisation psychanalytique de haut niveau, malgré le mouvement de discrédit actuel.
Simone Korff Sausse