« .... il faut être profondément psychanalyste pour savoir ne pas l’être. La pensée psychanalytique n’est-elle pas toujours pour chacun à repenser ? »
Ces phrases, les deux dernières du livre, en disent en quelque sorte l’intention principale : Apporter une pensée novatrice de psychanalyste sur la psychose.
Le titre surprend : qu’est-ce qui pourrait donc être « tentant » dans la psychose ? pourrait-elle faire l’objet du choix délibéré d’un sujet qui cèderait à ses attraits ?
Pourtant, ce livre nous conduit à la considérer comme un « possible » de la psyché humaine, « possible » très souvent pathologique, certes, mais constituant aussi la matrice d’une potentialité créatrice aux regards de questionnements éternels qui se posent à nous tous concernant les origines et le sens de nos vies. De même que la pensée de S. Freud amène à abolir les frontières qui séparent le "normal" du "pathologique", L. Abensour installe la psychose du côté des interrogations philosophiques et artistiques qui s'imposent à tout être humain.
Pour développer cette pensée originale, L. Abensour a su puiser à bien des sources : Celle de psychanalystes, bien sûr, mais aussi celle des philosophes, des écrivains, des poètes et celle, capitale, de sa propre expérience clinique évoquée tout au long de son livre, notamment par d’importantes « vignettes », qui permettent au lecteur de se représenter de manière « sensible » plusieurs aspects essentiels de « l’intériorité » des patients.
La psychose consisterait en un « mode d’être, à soi, à l’autre, au monde, mode radical où tout concourt à faire taire les pulsions », et où parfois, mais pas nécessairement, un nouvel ordre du monde s’instaure, au moyen d’un délire, plus ou moins dissimulé. Ces modalités, ces moments, ces états, ces troubles sont liés à une « confrontation permanente... confuse, énigmatique, à la compréhension de soi, de ses origines, de celles du monde."
Renonçant à expliciter une genèse du "devenir psychotique", genèse qui demeure mystérieuse, L. Abensour décrit le "vivre psychotique" organisé autour d'un trouble fondamental concernant la temporalité et l'engendrement des générations.
Elle est amenée à combattre bien des idées reçues, ou des préjugés qui planent au sein du milieu analytique :
Les patients psychotiques ne sont pas régressés, bien au contraire, « ils souffrent précisément d’une difficulté à régresser ». En effet, régresser, suppose une sorte d’intériorité réceptrice, (l' « état intérieur » de Bion), or, celle-ci est absente dans la psychose: le sujet rencontre à sa place immédiatement le vide, l’effondrement, l’implosion, ou la crise maniaque.
La temporalité est tellement perturbée qu’elle fige le sujet dans une instantanéité quasi permanente, un actuel éternel en quelque sorte, sans fondement, sans histoire, individuelle, familiale, infantile, ne laissant souvent que peu, voire pas de « jeu » entre la matérialité brute du monde environnant et l’anéantissement dans un vide intérieur ou supposé tel. Ce défaut d'histoire va jusqu'à la haine de l'origine, de l'engendrement, de la filiation et de la généalogie. Sans histoire, le psychotique se retrouve donc aussi sans futur.
Le travail analytique avec les psychotiques diffère beaucoup donc de celui qui convient aux névrosés: l’analyste doit abandonner l’interprétation, la levée d’un refoulement improbable, il se concentre sur « le hic et nunc de la relation » pour qu'elle permette que se constitue peu à peu un présent pour le patient. Au travers de cette relation c'est la "continuité du patient (qui) sera promue et garantie". Il s'agit, modestement donc, d’inscrire du présent sensible, de la présence, des liens tolérables avec ce qui peut se reprendre de l’histoire du sujet ... au sein de cet actuel immuable jusqu’à ce que « ce présent s’insère entre un passé et un avenir ». Ceci n’est possible que parce que, contrairement à une autre idée à la fois courante et fausse, le sujet psychotique n’est pas englué dans un narcissisme qui le rendrait incapable de transfert. Le transfert qu'il peut développer se caractérise le plus souvent par sa massivité, envahissant parfois jusqu’à l’intolérable, ou, empruntant la voie décrite par E. Kestemberg dans son article sur la « relation fétichique à l’objet ».
Pour favoriser la possibilité de trouver ou retrouver des « espaces d’existence » L. Abensour souligne l'intérêt positif du recours à l'écrit par le patient, recours spontané et fréquent qui, contrairement à l'opinion de la majorité des psychanalystes le considérant comme une résistance à la verbalisation, permet, au contraire, que la relation à l'analyste devienne plus consistante.
Ce recours privilégié à l'écrit, aux mots, au langage verbal si souvent surinvesti par les psychotiques introduit la réflexion métapsychologique de la dernière partie du livre.
Contrairement à l'idée fausse d'un inconscient à ciel ouvert dans la psychose, elle fait l'hypothèse d'une coupure radicale vis à vis de celui-ci, de l'absence du refoulement des représentations de choses. Elle considère le surinvestissement langagier comme le signe de la surcharge du préconscient, coupé de l'inconscient.
Conscient et préconscient s'adosseraient à un "liminal" (de préférence au "subliminal" des surréalistes) médiocre simulacre de l'inconscient fait de désirs et de chaos et dont les mots pourraient constituer la première forme d'émergence.
L'écriture, le langage, constitueraient donc un recours, un mode de survie: ne pouvant se référer à la réalité des choses, les psychotiques se raccrocheraient aux mots comme première issue hors de l'informe.
Pour ne pas conclure, je poserai ici une question à la « sorcière » métapsychologie : l’inconscient « liminal » de L. Abensour aurait-il des liens, et lesquels, avec l’inconscient « enclavé » de la 3° topique de J. Laplanche et Ch. Dejours ?