Freud a introduit une nouvelle dimension au concept de symbolisation en établissant un lien entre les symboles conscients et les symbolisés inconscients , ce qui a rendu « impérieuse » l’exigence de l’interprétation.
Alain Gibeault montre les implications qui résultent de la définition de ce concept et de ses corollaires au niveau de la théorie et de la clinique psychanalytiques et, en conséquence, au niveau de l’histoire de la psychanalyse.
Le symbolique peut être assimilé au sémiotique comme capacité de production de signes verbaux et non verbaux susceptibles d’organiser l’expérience; les conceptions d’E.Cassirer, C.Lévi-Strauss, J.Lacan participent d’une théorie de la fonction symbolique qui atteste la primauté du linguistique. Ch.S.Peirce s’inscrit dans cette perspective, si ce n’est que, selon lui, celle-ci s’avère une définition trop large du symbolique : l’enjeu est au cœur de la confusion entre le signe et le symbole.
De façon schématique, pour F. de Saussure, le signe désigne au sein de la langue une relation de signification entre le signifiant et le signifié, relation nécessaire et immotivée, le symbole renvoie à une association plus ou moins stable entre deux signifiants ou deux signifiés, relation non nécessaire et motivée, selon des rapports de contiguïté et de similitude. La définition du signe par Ch.S Peirce : « quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre » implique une relation triadique, sujet, interprétant, objet. Le symbole devient une catégorie du signe définissant le signe linguistique dans sa dimension d’arbitraire.
Selon les termes d’U.Eco, « la sensation que ce qui est véhiculé par l’expression pour nébuleux et riche que ce soit vit dans l’expression », dans le symbole, aussi y a t-il nécessité d’interprétation, au risque de s’enfermer dans le silence et l’incommunicable. Pour Alain Gibeault, la dimension sociale et communicable devrait faire partie du symbole. Le danger réside en ce que le passage à la reconnaissance sociale cherche la référence au code qui renvoie à l’univocité. Le risque est que celui qui a la clef de l’interprétation a le pouvoir, dans la mesure où le pouvoir s’exerce à partir du code. Ainsi les enjeux des théories psychanalytiques et les luttes de pouvoir qui y sont liées peuvent renvoyer au besoin de « légitimer par une théologie la pratique du mode symbolique ».
À partir du concept de symbolisation, A.Gibeault analyse l’histoire de la découverte de la psychanalyse, l’évolution de la réflexion de Freud sur les processus de symbolisation à propos du symptôme hystérique et de la théorie du symbole mnésique, et la symbolique du rêve. Il analyse l’enjeu de la symbolique de l’argent dans la cure.
La symbolisation étant un processus qui utilise la projection, A. Gibeault montre les rapports entre la projection et l’identification projective, les points de convergence de la pensée freudienne et de la pensée kleinienne dans la théorie de la projection comme processus et mécanisme de défense.
Puis, des illustrations cliniques allant de la psychose à la névrose, de l’enfance à l’âge adulte, permettent de mesurer la portée clinique et technique des enjeux qui se sont développés autour de ce concept.
A.Gibeault poursuit en montrant les similitudes et les différences du concept de symbolisation avec les concepts de représentation, de sublimation et de création.
L’art préhistorique du Paléolithique témoigne de l’intérêt précoce de l’homme pour la symbolisation ; il est la preuve d’un imaginaire mythique dont les secrets échappent et d’un travail de transformation de la pulsion qui « à la fois dissimule et montre dans un mouvement de lutte contre la détresse ».
Si la réflexion sur les processus de symbolisation a privilégié la dimension du transitionnel, elle a été soutenue par la question des origines, de l’originaire, des fantasmes originaires.
L’enjeu du travail de symbolisation au cours de la cure consiste à augmenter la vérité historique du monde interne du patient en élargissant sa dimension fantasmatique et narrative et à ouvrir à la possibilité d’accéder à un nouveau mode d’être. Ce travail va de pair avec le développement de la créativité du sujet.
Le travail analytique est une co-création qui fait référence à la symbolisation et à la sublimation, processus fondamentaux de ce travail de pensée qui relève aussi d’une capacité à « jouer » que le travail analytique devrait permettre d’acquérir.
L’interprétation psychanalytique a une fonction symbolisante, dans le contexte de la cure et dans le contexte de la culture. Elle intervient sur le mode de la « proposition » qui permet au jeu de la négation de s’exercer et de relancer le processus de pensée.
Le mode symbolique devrait échapper à la dimension du code qui renvoie à l’univocité, pour laisser ouverte la possibilité d’une « infinie dérive ». Cependant, faut-il irrévocablement choisir entre le recours à une interprétation explication en rupture avec le flot associatif et une interprétation en contact avec le flot associatif, allusive, laissant libre cours au développement de la polysémie, ou bien n’y a t’il pas nécessité d’une dialectique entre ces modalités interprétatives ? Chemins de la symbolisation est le résultat d’une formidable recherche sur la symbolisation et les processus de pensée, sur les processus psychiques à l’œuvre depuis les origines de l’humanité et de son corollaire, l’interprétation. Ce livre est un exceptionnel outil d’informations et de réflexions.