Parmi tous les concepts freudiens, la sublimation est peut-être le plus difficile et le plus contesté, tout en faisant partie de la culture psychanalytique populaire (« je sublime », « il faut sublimer »). La sublimation a donné lieu à des appréciations et des utilisations fort diverses, au point que d’aucuns seraient prêts à l’abandonner n’y voyant qu’une source de confusion et de malentendus. Comment envisager en effet la désexualisation de la pulsion, qui est l’aspect le plus souvent retenu de la définition freudienne ?
Le Que sais-je ? De Sophie de Mijolla consacré à la sublimation reprend le débat depuis le commencement et jusque dans ses prolongements les plus contemporains. La sublimation constitue, on le sait, la quatrième forme possible du destin de la pulsion, dont elle transforme le but et l’objet, leur conférant une valeur morale et sociale supérieure, différant en cela du refoulement. Quant à la délicate question d’une pulsion « désexualisée » dans la sublimation, Sophie de Mijolla montre que l’exemple princeps de Freud, celui de Léonard da Vinci l’a entraîné sur cette voie. Evidemment si Picasso avait servi de modèle pour la sublimation, les choses se seraient présentées tout autrement !
La sublimation n’est ni un mécanisme de défense, ni un contre-investissement, mais elle propose une troisième voie, avance Sophie de Mijolla, « qui n’est ni celle de la réalisation pulsionnelle directe ni celle de la défense et qui peut ignorer l’interdit n’ayant plus à s’y confronter » (p. 19).
La question épineuse de la désexualisation de la libido sublimée fait l’objet d’une étude métapsychologique subtile, qui retrace les chemins complexes de la pensée freudienne, en particulier en articulation avec le narcissisme. Sophie de Mijolla interroge également le rapport inévitable entre sublimation et perversion, mais on aurait aimé plus d’approfondissements de cette piste, qui apparaît de manière criante dans l’art contemporain.
Pour rendre compte de la genèse de la capacité de sublimer, Sophie de Mijolla se réfère à ses propres travaux concernant les mythes magico-sexuels, forme précoce de sublimation.
L’ouvrage est très complet et aborde tous les aspects de la sublimation. C’est pourquoi il n’échappe pas tout à fait au risque que l’auteur lui-même dénonce, à savoir qu’une trop grande extension du concept peut lui fait perdre sa pertinence et sa cohérence.