En psychanalyse, la notion de subjectivation s’est d’abord imposée en creux, pour rendre compte de formes de souffrance singulières, liées aux difficultés de construction d’un espace psychique différencié. En effet, les capacités à se situer par rapport à autrui, à tolérer ses mouvements pulsionnels et ses affects, comme ceux de l’autre, ne sont pas données d’emblée, mais relèvent d’un long parcours, souvent chaotique et aléatoire, engagé dès le début de la vie.
Issu de la reprise d’interventions présentées lors d’un colloque à la Mutualité (Paris, 2 avril 2005), cet ouvrage déploie désormais la notion de subjectivation comme un concept global permettant d’appréhender psychanalytiquement la vie psychique dans un langage renouvelé et selon un nouveau point de vue. Selon D. Widlöcher, dans son avant-propos, la déconstruction du sujet-agent permet de mieux voir l’espace psychique dans lequel se situent les opérations inconscientes et préconscientes de subjectivation, qui sont complexes.
Raymond Cahn s’attache aux origines et aux destins de la subjectivation, en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un sujet processuel, au-delà des mécanismes de défense d’un Moi visant l’unification. La subjectalisation, qui permet notamment l’instauration d’une continuité de soi, tient à la rencontre avec un objet subjectalisant : créativité radicale de la psyché et nécessité absolue de l’autre ne s’opposent pas, mais se répondent.
Steven Wainrib insiste sur le changement de paradigme que représente le point de vue de la subjectivation. La subjectivation est ce processus, en partie inconscient, par lequel un individu se reconnaît dans sa manière de donner sens au réel, au moyen de son activité de symbolisation. Elle se tient dans une coémergence du sujet (le devenir sujet) et de sa réalité psychique (un fonctionnement psychique subjectivé, c’est-à-dire devenu subjectif). L’architecture complexe de la subjectivation, non linéaire, articulant de multiples subjectivations du désir, appelle une psychanalyse diversifiée, conçue comme une pratique de la subjectivation. La double lecture d’une cure par C. Chabert, avant et après la prise en compte de la subjectivation, outre sa finesse et sa richesse clinique intrinsèque, vient éclairer la mise en discussion d’un changement de paradigme.
Tandis que René Roussillon poursuit et affine sa réflexion sur l’appropriation subjective, dont il différencie les formes, François Richard éclaire la différence entre le Moi freudien et les philosophies du sujet, soulignant dans les textes de Freud lui-même ce qui montre l’inachèvement et la multiplicité du sujet dans son devenir. Symbolisation et appropriation subjective sont référées à l’axe du transfert, à la lumière d’un exemple clinique significatif. La fin du livre s’attache à l’importance de la relation avec l’autre dans les processus de subjectivation : le sujet est conçu par R. Kaës comme un intersujet dans un espace psychique commun au groupe tandis qu’A. Carel introduit la notion d’intersubjectalisation. Bernard Penot témoigne de son expérience du traitement en institution d’adolescents souffrant de troubles graves de la subjectivation, grâce que travail d’équipe susceptible d’analyser à plusieurs les clivages et les mouvements de transfert.
Ce livre met en évidence dans l’expérience clinique, avec clarté et souvent avec bonheur, les mouvements et transformations par lesquelles s’opèrent les opérations de subjectivation. L’articulation entre l’intrapsychique et l’intersubjectif y est l’objet d’une attention particulière, manifestant l’altérité nécessairement à l’œuvre dans les processus de subjectivation. Si l’on veut ergoter – ou mieux : appeler les auteurs à de nouveaux développements–, on peut regretter que ne soient qu’effleurés trois éléments décisifs pour que le choix du terme subjectivation s’impose, et justifie le maintien en psychanalyse d’une référence à l’idée de sujet : les retournements pulsionnels, le rapport au langage et l’ouverture de la question ou du tourment de la vérité, A l’issue de la lecture, on éprouve en effet l’envie de poursuivre l’importante discussion théorique et métapsychologique engagée par les auteurs sur les choix terminologiques et la pensée processuelle de ce nouveau point de vue psychanalytique. Bibliographie et index contribuent à faire de cet ouvrage un instrument efficace et précieux de travail et de réflexion.
Collaborateurs : Raymond Cahn, André Carel, Catherine Chabert, René Kaës, Bernard Penot, François Richard, René Roussillon, Steven Wainrib.