Viviane Chetrit-Vatine, membre formatrice de la société de psychanalyse d’Israël, publie ici une reprise de sa thèse consacrée à la dimension éthique de la situation psychanalytique. Elle se réclame d’emblée de la pensée philosophique d’Emmanuel Lévinas, et de la ligne psychanalytique de Jean Laplanche. La position éthique est première, fondatrice de l’humain, dans la ligne du « principe responsabilité » tel que l’a développé Hans Jonas.
La première partie de l’ouvrage traite « d’une contribution possible de Lévinas à la psychanalyse contemporaine », confrontant la conception freudienne de l’éthique ainsi que les positions lacaniennes aux thèses de Lévinas, en privilégiant peut-être un certain concordisme pour mieux asseoir son propos. Dans cette relecture de l’œuvre du philosophe, la responsabilité asymétrique pour l’autre, telle que la conçoit Lévinas (c’est-à-dire comme substitution et non comme réciprocité) est alors proposée comme éthique de l’analyste, dans la sensibilité à la vulnérabilité, au visage de l’autre, à la proximité et à la caresse. La personne de l’analyste est alors considérée comme un espace matriciel.
Une deuxième partie relie cette conception de l’éthique aux conditions de la séduction originaire telle que la comprend Jean Laplanche, source, selon V. Chetrit-Vatine, d’une exigence de responsabilité. L’exigence éthique naît dès le départ de la vie et se déploie dans le mouvement même de la passion maternelle, à partir d’un primat de l’affect. Le besoin d’éthique dans la cure relève de la même nécessité, car l’analyste, medium malléable, est, comme la mère, un objet transformationnel. La passion de l’analyste et la séduction éthique de la situation analytique sont ainsi étudiées dans une troisième partie comme la voie de l’appropriation subjective dans la cure dont l’asymétrie soutient un triple transfert : transfert « en plein », actualisation directe des imagos parentales et des modes de relation de la prime enfance, mais aussi transfert de séduction originaire et transfert d’espace matriciel.
Une quatrième partie, liées aux thèses de Jacques André sur les origines féminines de la sexualité, s’attache aux origines féminines/maternelles de la responsabilité pour l’autre, avec la visée de proposer un nouveau statut psychanalytique de l’éthique, prônant une passivité non masochiste. La mère est effractée par la présence d’un être vivant se développant en elle, puis, lors de la naissance, l’effraction est réitérée par la rencontre avec l’enfant démuni, totalement dépendant ; chez la mère, cette rencontre suscite un état de dés-aide, une détresse qui est par elle-même exigence d’éthique. Il s’agirait donc de poser une forme de primat de la passivité, dégagée de la culpabilité et dépassant la bienveillance naturelle, sans tomber dans une logique sacrificielle. L’in-quiétude est éveil éthique de l’analyste. Dans les annexes de l’ouvrage sont abordées les nouvelles parentalités ; on y trouve également le commentaire d’un article de Laplanche « responsabilité et réponse », qui transforme le « répondre de » central chez Lévinas, en un « répondre à » qui est à comprendre en liaison avec le refoulement originaire dans la transmission du message énigmatique adressé inconsciemment à l’enfant.
Développant de façon systématique sa ligne de réflexion, l’ouvrage ne va pas sans soulever des questions tant sur la conception des rapports entre psychanalyse et philosophie que sur la place bien limitée laissée par cette perspective tant au transfert paternel qu’à la tiercéité.