A l’heure de la pandémie, désastre sanitaire, qui s’est produite alors que le monde était déjà confronté à des catastrophes écologiques, liées au réchauffement climatique planétaire et à l’accroissement exponentiel de la population mondiale, Jacques André propose une réflexion psychanalytique sur les effets nocifs de l’homme sur son environnement.
Les méduses, ces êtres multicellulaires apparus il y a quelques cinq cent millions d’années et qui ne possèdent aucun neurone, prolifèrent et envahissent les océans, alors que par ailleurs l’acidification des mers conduit à un appauvrissement général de la population marine.
En 1748, Carl von Linné a donné le nom de méduse à ce Cnidaire ; Freud a choisi la tête de Méduse comme symbole du sexe de la mère castré/castrateur. L’un et l’autre se sont référés à la seule mortelle des trois Gorgones, dont la tête est hérissée de serpents et qui est caractérisée par sa laideur et son regard pétrificateur pour celui qui osait la regarder.
En 1929 dans Malaise dans la culture, Freud écrivait que le développement culturel pourrait se rendre maître des perturbations liées aux pulsions d’agression et d’auto-anéantissement qui, précise Jacques André, concernent aujourd’hui les quatre éléments : terre, mer, air, feu. Auquel cas, « la symbolisation du désastre en termes de castration est presque devenue une aimable figure ».
L’espèce humaine est la seule espèce sur terre à pouvoir s’autodétruire, détruire les autres espèces, détruire son environnement. Jusque récemment, l’affrontement entre Eros et la destructivité s’est joué entre les hommes, à l’intérieur de la culture. Ce n’est plus le cas, l’adversaire est aussi non humain. Aujourd’hui le mouvement destructif de l’environnement a pris un essor tel qu’il s’auto-entretient et s’emballe. Eros reprendra-t-il le pouvoir à temps ?
Jacques André cite C. Levi-Strauss selon lequel « La culture aurait modelé la nature » et poursuit : le « malaise dans la nature » menace la culture d’effondrement. Ce serait la nouvelle version du malaise dans la culture.
Deux expériences anthropologiques depuis Homo sapiensdistinguent l’homme de l’animal et soutiennent le primat de la culture : le culte rendu aux morts et la sexualité caractérisée par la dissociation entre sexualité et reproduction, plus précisément, entre sexualité et génitalité (Freud).
Mais pourquoi une telle inaptitude à l’autoconservation chez l’homme ?
L’autodestruction contemporaine conduit à penser une psychanalyse de la destructivité. Plusieurs pistes sont à suivre parmi lesquelles la haine, le sexuel, la pulsion d’auto anéantissement.
La haine. Freud en indique l’impact : « Le moi exècre …. tous les objets qui deviennent source de déplaisir. » « Les prototypes véritables de la relation de haine (sont issus) de la lutte du moi pour sa conservation et son affirmation ». Notamment, la limitation des ressources majorée par les désordres écologiques pose la question de l’autoconservation et de la survie et contribuent à l’exacerbation de la haine de l’étranger, des immigrés et à l’expansion du national populisme.
Le sexuel. Les pulsions partielles sexuelles dérivent de l’instinct qui est toujours adapté à la satisfaction d’un besoin, à la conservation de l’individu et de l’espèce. Les pulsions sexuelles, elles, ne savent pas ce qu’elles veulent, … certes le plaisir dont la « satisfaction (est) à jamais inachevée ». « Ce n’est jamais assez, jamais fini. », d’autant que « ça n’est jamais ça » !
La disqualification des pulsions sexuelles met l’autoconservation en péril.
La pulsion d’auto anéantissement qu’introduit Freud dans Malaise dans la culture.
« Celle-ci n’est-elle que la face négative d’une autoconservation perdue ? Ou relève-t-elle d’une violence positive et autonome, un au-delà du mal où le sadisme profiterait des circonstances ? Est-ce à partir d’un narcissisme de mort et de haine que la pulsion d’auto anéantissement peut se penser ? »
N’a-t-elle pas été en jeu chez Hitler et dans le devenir du Troisième Reich ?
Eros, l’inventivité humaine, la technologie moderne, soutenus par la « conscience morale qui (selon Freud, elle aussi) … demande toujours plus », pourront-ils se rendre, selon les termes de R. Descartes, « maître et possesseur » des effets désastreux de cette destructivité qui menace l’humanité ?
Déjà, citons à titre anecdotique que les méduses sont utilisées dans les stations d’épuration d’eau de mer afin d’éliminer les particules de plastique qui envahissent les mers. Par ailleurs les japonais et les chinois s’en régalent !
Malgré la gravité du sujet, l’humour reste toujours à fleur de texte.
De très intéressantes vignettes cliniques émaillent ce livre pertinent, original, qui offre une réflexion psychanalytique sur les problèmes socio-politiques de notre époque et leurs dysfonctionnements et dont le sous-titre pourrait être : « Malaise dans la culture, malaise dans la nature. »
Cet ouvrage est particulièrement bienvenu alors que se déchainent les entreprises dévastatrices de V. Poutine et la guerre en Ukraine.
dominique.baudesson@gmail.com