André Green défend ici l'existence d'une véritable pensée clinique, susceptible d'éveiller en nous le souvenir de nos patients, sans rien perdre des exigences de rigueur de toute pensée. Après une longue introduction inédite qui définit et caractérise la notion de pensée clinique et ses exigences, il rassemble divers articles qui sont des exemples de sa mise en œuvre.
Une étude essentielle vise à montrer l'articulation entre l'intrapsychique et l'intersubjectif tels qu'ils sont à l'œuvre au fil des séances et dans l'ensemble de la cure. C'est l'occasion de relire l'ancrage pulsionnel de Freud et la prévalence qu'il donne à l'intrapsychique mais aussi de retracer les dérives post-freudiennes qui ont revalorisé l'objet aux dépens de la pulsion. André Green montre la nécessité de ne négliger ni l'objet ni la pulsion, mais aussi de prendre en compte la complexité de la notion d'objet, qui est multiforme, et de repenser la pulsion, qui permet de ne pas négliger la dimension de la force dans notre compréhension du psychisme. Il y a toujours plus d'un objet, tandis que le représentant psychique de la pulsion est susceptible de multiples formes d'émergence. La question est toujours de pouvoir rendre compte des articulations et des passages entre la force et le sens ; il s'ensuit la nécessité de repenser dans leur complexité les concepts de perception et de représentation.
La suite de l'ouvrage comporte l'étude princeps sur l'analité primaire, forme de résistance et de configuration caractérielle particulièrement éprouvante pour l'analyste, disqualifié parce que ressenti comme un dominateur tout-puissant dès qu'il exerce son pouvoir d'écoute et d'interprétation. L'érotisation des conflits devenue fondement de sa propre identité, les refuges fusionnels plus ou moins dissimulés, le sentiment d'un empiètement du psychisme à la moindre intervention de l'autre, la crispation sur une pensée déconcertante et pourtant riche, mais indissociable du sentiment d'identité, l'impossibilité de se sentir exister en présence d'autrui sont décrits avec précision et parfois avec virulence. L'effet d'éclairement de toute un pan de la clinique contemporaine en est saisissant.
Il faudrait rendre compte en détail du déplacement effectué en chiasme lorsqu'André Green choisit d'éclairer la névrose dans sa différenciation d'avec les cas-limites au lieu de penser seulement, comme c'est le plus habituel, les structures non névrotiques à partir de la névrose. La réflexion sur les phénomènes de pensée et sur la notion de force dans le fonctionnement psychique s'en trouve renouvelée. Un chapitre est consacré à la position phobique centrale, description des mécanismes d'évitement à l'œuvre dans une séance, et dont l'intelligibilité requiert l'idée d'un avant-coup, d'une anticipation du psychisme qui pressent où vont l'entraîner les associations, bien avant leur pensée ou leur expression. La pulsion de mort, pensée comme force de destructivité, est également revisitée et réinterprétée.
L'ensemble du livre témoigne des résultats déjà très élaborés de la révision de la pensée freudienne dans laquelle s'est engagé André Green, avec le souci d'être au plus près de la clinique, d'intégrer les avancées post-freudiennes tout en ne renonçant à aucune des élaborations freudiennes mais sans les sacraliser : il s'agit de les réinterpréter dans leurs intuitions fondamentales et de rendre compte de leurs limites tout en les enrichissant cliniquement et théoriquement.