Dans cette collection « Adolescence et psychanalyse » – qui nous avait donné en 1999 le livre de Dominique Arnoux sur La dépression à l'adolescence, qui décrivait l'adolescent comme un plongeur de hauts fonds qu'il faut parfois aider à rapporter ce qu'il y trouve sans le connaître –, Elsa Schmid-Kitsikis nous propose une étude sur La passion adolescente. Le titre est significatif et Jean Cournut, qui préface le livre, y voir plus qu'une étude sur l'adolescence, ou sur la passion. Ce qui est en jeu ici, c'est l'excès de l'excès », un extrême de la passion qui a un caractère « adolescent » et permet de ce fait de mieux appréhender et la passion, et l'adolescence. L'auteur insiste sur l'intensité pulsionnelle et la relation à l'objet, qui naissent dans la matrice passionnelle originaire de la relation primaire, fête sauvage et tendre d'une enfance à jamais inaccessible que Winnicott désignait comme « orgie de la tétée ».
Ce qui caractérise la passion, c'est le trop ; ce qui est le propre de l'adolescence, c'est de vivre en prise directe avec ces « trop » qui déferlent. L'avidité objectale s'éprouve au risque de la découverte narcissique, d'un narcissisme qui se découvre aux deux sens du terme : il s'éprouve et se reconnaît, mais il s'expose aussi. Si la passion dans son excès est par définition risquée, « la passion adolescente représente surtout un mode de fonctionnement psychique qui contribue à rendre l'individu apte au désir, au renouvellement et à la création ».
Cette thèse est soutenue en trois temps. La première partie spécifie la passion par rapport à l'amour, montre les caractères de son exclusivité et l'étudie dans un regard sur son histoire, et telle que la voient Freud et Piaget. Engageant toujours la sensorialité du sujet, le vécu passionnel correspond au conflit entre éprouvés du besoin et éprouvés du désir. Dans le meilleur cas, il concerne l'objet partiel, dans le pire, celui de l'éprouvé lui-même en tant qu'objet de plaisir ou de déplaisir, investissant l'excitation pour elle-même. La passion pour l'autre ou pour le travail de création peut se révéler destructrice lorsqu'elle agit sans limites, mais elle peut aussi déboucher sur une œuvre de génie si elle a pu utiliser des mécanismes pare-excitants de bon aloi (suffisamment protecteurs sans entraver la dynamique pulsionnelle) capables de faciliter le travail d'introjection. Ces mécanismes pare-excitants sont plus difficiles à mettre en place lorsque la passion s'adresse à la personne de l'autre. Parmi les visages de la passion, on peut distinguer la passion chaude sur son versant hystérique, prisonnière de l'excitation, du débordement ou de la sidération, de la passion froide du versant pervers, soumise au désir d'emprise, de domination et de pouvoir.
La deuxième partie s'attache à la temporalité et à la conflictualité adolescentes, dans la reviviscence de l'infantile qui caractérise cet âge, et selon les deux enchaînements possibles entre le corps et la pensée, par le rêve ou par l'agir. L'examen des paradoxes de la sexualité adolescente permet de s'interroger sur les passions fertiles dans leur distinction d'avec les passions mortifères. On notera particulièrement les études cliniques et littéraires portant sur les objets et substituts passionnels, du point de vue du corps (y compris la toxicomanie comme histoire d'amour mortifère), de l'autre et de la pensée (y compris comme érotisation de la pensée). Une dernière partie s'attache à la clinique de la passion, considérée comme douleur de la mémoire, à partir de deux exemples cliniques consacré l'un à l'état amoureux passionnel, l'autre à la passion de la mélancolie.