Pour Lucien Israël (1925-1996), la fonction de l’analyse est de créer du sujet. Le courage de poser des questions, dans le sillage de Freud et de Lacan, a caractérisé les cours de Lucien Israël, professeur de psychiatrie et psychanalyste soucieux de susciter dans ses cours un climat de renoncement au sens qui soit un accès à la liberté de penser, dans le creuset d’intelligence qu’est la communication vivante.
Cet ouvrage réunit deux séminaires ; le premier (1988-1989) est consacré à la parole, sous le titre d’une « Révision impertinente de quelques concepts psychanalytiques ». Tout ce qui ressemble à un appel à l’adaptation est à considérer comme de l’anti-psychanalyse. Le seul enjeu de cette entreprise aberrante et coûteuse, c’est d’acquérir la liberté qui implique le risque. A partir de cette visée, L. Israël interroge ce qu’est devenu le lacanisme, ce qui se passe dans une relation humaine, et développe une critique du transfert, ou de ce que l’on appelle ainsi. Le transfert spécifique de la psychanalyse est en effet autre chose que le transfert imaginaire de toutes les suggestions et des psychothérapies. C’est le mouvement de bascule qui importe, par lequel on renonce à la mise en commun d’un sens, pour sortir de la relation imaginaire et prendre la responsabilité de son désir, en échappant à la prison du discours ordinaire. La perte est la condition pour qu’un discours puisse se fixer ; pour que l’analyse ait lieu, pour que le transfert quitte le domaine de la répétition et devienne apparition d’une parole nouvelle, l’analyste soit subir la métamorphose qui, de personnage imaginaire, le fait devenir symbole. La sollicitude envers autrui est le plus souvent un moyen de « le liquider » en lui faisant croire à son incapacité à se débrouiller. Il s’agit d’oser, de chercher ce qui se passe à l’envers de la peur, en favorisant ce qui relève du plaisir, du jeu, de la création. La demande, en revanche, est horrible, elle est demande d’être délivré du désir. Ce qui implique le courage, c’est de supporter le désir, pour frayer un chemin nouveau. Le sérieux, en revanche, est une formation réactionnelle, qui rend laid.
A la vitalité joyeuse de cet appel à la liberté succède le séminaire de 1990 sur l’aliénation. Il commence par noter que la répétition est symptôme et manifestation de la pulsion de mort, puis analyse de façon critique le fantasme de l’ailleurs, et sa fonction de cacher le vide. L’errance, le voyage, le rêve relèvent de la même loi : lorsque l’ailleurs remplit ce qu’on attend de lui, c’est qu’on le peuple avec ce que l’on a apporté, et qui nous plaît. Déçus de la lune de miel et toxicos de la théorie sont renvoyés de la même façon : la psychanalyse est un art, mais n’a rien à voir avec le grouillement de mécanismes et de symptômes qui nous retient ; elle est destinée à nous confronter au rien. Elle consiste à reconnaître qu’il n’y a pas de maître et elle permet parfois d’y renoncer. Ce propos est soutenu en parlant de l’amour, de la dépression – quand on n’est plus désirant –, de la diversité des cultures, de la guerre, de la drogue, ou même de Dieu. Mais ce qui importe, c’est la radicalité de l’auteur dans sa compréhension de la psychanalyse, souffle de grand air qui fait du bien et ravive désir et courage.
Cette œuvre critique, malgré des passages un peu coquets ou très liés au contexte politique de l’époque, transmet une grande idée de la psychanalyse et déplace avec bonheur les représentations convenues.