Est-ce que l’émergence des nouvelles parentalités vient modifier la place du père ? Cette question oblige à s’intéresser à la paternité et à réexaminer, une fois de plus, suite à de nombreux travaux, la fonction paternelle.
C’est à cette rude tâche que s’attelle J.-C. Stoloff, psychiatre et psychanalyste, en proposant au lecteur une étude synthétique mais très complète sur ce père dans nos familles et notre société contemporaine, dont tout le monde essaie de saisir le rôle, et qui continue à échapper aux tentatives de définition.
La réflexion que mène Jean-Claude Stoloff est résolument et rigoureusement psychanalytique. Les premiers chapitres sont consacrés à une analyse extrêmement poussée et pointue de la théorie freudienne concernant le père. Sont examinées en détail, en poursuivant toutes les articulations, les notions de refoulement originaire, puis de phantasme, notion qui mène à la métaphore, et, de là, à la métaphore paternelle. En effet, la thèse de l’auteur est que la fonction paternelle a un effet métaphorique, « parce que précisément elle tend à décoller l’enfant de l’objet d’investissement direct, pour favoriser un investissement indirect ».
Ce trajet théorique passe par un certain nombre d’auteurs, Freud en premier bien sûr, puis Lacan, Piera Aulagnier, Bion… On peut regretter que Mélanie Klein soit balayée un peu rapidement par l’auteur qui reproduit l’erreur habituelle consistant à affirmer que le système kleinien fait l’impasse totale sur la fonction paternelle.
Puis l’auteur aborde les approches plus historiques et anthropologiques de la paternité, dans un esprit ouvert et positif. « Nous voudrions insister sur les aspects bénéfiques de la crise de certaines formes d’autorité établies, plutôt que de nous lamenter sempiternellement et nostalgiquement sur un passé révolu ».
Ce qui amène Jean-Claude Stoloff à discuter les thèses de quelques penseurs contemporains sur cette question, M. Godelier, Michel Tort, F. Héritier, Monique Schneider, en mettant en lumière les nombreuses contradictions qui agitent ce domaine de la pensée contemporaine.
Qu’en est-il des invariants trans-culturels dont nous parlent les anthropologues : d’une part la « valence différentielle des sexes » (F. Héritier), c’est à dire la prédominance universelle du masculin sur le féminin, et d’autre part l’affirmation qu’il y a toujours eu des hommes impliqués dans l’élevage des enfants (Godelier) ?
Comment situer la fonction paternelle dans la modernité ? « Aujourd’hui la question se pose de savoir comment nos sociétés laïques, tout en assumant la parité ou l’égalité hommes-femmes et le déclin inévitable de la représentation du père idéalisé qui en découle, peuvent préserver néanmoins la fonction paternelle, dans la mesure où celle-ci en tant que transmettrice de la Loi morale se démarque de la figure dogmatique du père idéalisé ? ».
Cette question ouvre sur deux pistes théoriques, qui composent les deux derniers chapitres de l’ouvrage, et qui sont à mon avis des plus importants pour comprendre ce qu’il en est des pères dans notre société. La première concerne la féminité chez l’homme, qui est largement sollicitée chez les « nouveaux pères ». La deuxième aborde le rôle civilisateur de la fonction paternelle, dont on dit – peut-être un peu facilement – qu’il n’est plus assuré en raison du déclin du père.
La thèse que soutient l’auteur tout au long de l’ouvrage et qui fonde son argumentation est que la fonction paternelle joue un rôle non seulement dans la construction du sujet, mais qu’elle est aussi un fait social et culturel. C’est une notion qui montre de manière emblématique que la psychanalyse est ancrée dans l’anthropologie, ce qui, comme nous le dit J.-C. Stoloff, a toujours été la vision et la préoccupation de Freud.