nouveaux publics et à de nouveaux besoins, telle est la perspective de Raymond Cahn dans cet ouvrage de fond, à la fois classique et audacieux, délibérément rédigé de manière accessible à un public large.
Le travail de psychanalyse doit pouvoir émerger au sein d'une liberté nouvelle quant au rythme des séances et au dispositif mis en œuvre dans le site analytique, ce qui amène l'auteur à explorer tout particulièrement les potentialités et les atouts trop souvent méconnus du face à face. Après un chapitre consacré à l'état de la psychanalyse, l'ouvrage s'intéresse aux "défricheurs de l'archaïque" que sont devenus les psychanalystes du fait de l'afflux de nouveaux patients à la limite de l'analysibilité. La levée des obstacles au fonctionnement mental et l'utilisation de l'analyste comme agent subjectivant deviennent alors des tâches essentielles, tandis qu'il s'agit d'entendre un narcissisme blessé, chez des sujets où souvent, le besoin de se sentir compris prime sur le désir de comprendre.
C'est à la lumière de ces considérations cliniques, émaillées de quelques vignettes suggestives, que sont réévalués les dispositifs proposés par les psychanalystes au long d'un chapitre au titre significatif "Du divan au fauteuil" : "Plutôt que le fait d'être assis ou allongé, ce sont la liberté offerte à la parole et à la pensée du sujet, la façon de la laisser se déployer et prendre sens, le repérage des obstacles qui s'y opposent et de leurs causes aux fins de les lever qui, au fond, constituent les caractéristiques véritables du processus analytique." La qualité de l'accueil et des réponses de l'analyste, même infraverbales, sont essentielles et permettent à l'analysant une autre façon d'être reconnu et entendu que la surdité ou la violence dont il s'est senti l'objet. La multiplicité des paramètres intervenant dans le face à face et la circulation des représentations et des affects qui peuvent s'y déployer, notamment grâce à des interventions "dramatisées" proches du jeu psychodramatique, permettent d'éviter ou de se déprendre de l'accrochage massif à l'objet sur le registre du perceptuel et du factuel, accrochage qui vise la réassurance antidépressive ou la défense contre les angoisses archaïques. L'analyste est ainsi amené à proposer un sens absent jusqu'alors, tout en veillant à ne pas l'imposer, et il lui faut faire appel à ses propres capacités imaginatives suscitées par le matériel de son interlocuteur. Raymond Cahn argumente pour montrer que l'analyste n'y perd pas son âme et qu'il ne s'agit pas là d'un retour à la suggestion mais d'une médiation nécessaire à la possibilité même du travail analytique, pour ouvrir un autre espace de figuration que les modes habituels de communication et d'échange.
Les indications du face à face et la comparaison avec la cure-type soutiennent le débat – qui reste fondamentalement ouvert –, et permettent de se demander, au sein même des remises en cause, comment être psychanalyste aujourd'hui. Non cependant pour une réponse univoque, car tout analyste doit trouver son style et inventer sa manière d'être à l'écoute et de mettre en forme son rapport à l'inconscient, au transfert, à la parole et au mouvement qui la porte. A cette condition, le site peut être utilisé de manière subjectivante, quelle que soit les options techniques retenues. Un ajustement réciproque entre l'analyste et son patient s'opère au sein des contraintes du cadre et une aire de jeu partagée s'établit à travers le trouvé-créé commun, qui va permettre une appropriation subjective de ce que l'analysant découvre ou retrouve. Raymond Cahn va jusqu'à écrire qu'il y a nécessité absolue de reconstituer dans l'analyse la relation primaire, avec un analyste devenu le dépositaire externe de cette mère-environnement non intériorisée – ce qui fait resurgir les affects et les angoisses liés à cette mère insuffisamment bonne.
Un chapitre théorise le travail de psychanalyse, notamment autour de la notion de subjectivation, et sert d'appui pour reformuler les buts de la cure – l'inachèvement de l'analyse (non comme transfert interminable mais comme rapport autre à soi, à autrui, au même et au différent) constituant la preuve même de sa réussite. La méthode psychanalytique reste spécifique alors même qu'elle a étendu ses indications et ses pratiques, mais il lui faut relever les nouveaux défis, pour lesquels les approches en face à face, plus souples, offrent bien souvent des réponses plus appropriées.