Avec cette thèse audacieuse en ces temps de « DSM-ite » aigüe de nos psychiatres, Samuel LEPASTIER poursuit et reprend, à partir de sa pratique quotidienne, l’héritage de la Salpetrière dont les murs résonnent encore des présentations du mardi du grand CHARCOT.
Son propos se centre sur la crise hystérique dont, par sa place de psychiatre dans un hôpital toujours largement orienté vers la neurologie, il repère les manifestations, aujourd’hui comme autrefois, sous les dehors d’affections somatiques les plus variées. Encore une fois annoncée défunte, l’hystérie d’aujourd’hui reste, quand au fond, identique à elle-même, sinon dans le vocabulaire médical derrière laquelle il faut savoir la reconnaître. Protéiforme, se moulant sur le désir du thérapeute pour mieux en démontrer l’impuissance, l’hystérique agace encore ; c’est dire si il/elle vit toujours !
Si la « suffocation de la matrice » et son symptôme phare de la « boule hystérique » fondent, continûment depuis ARISTOTE, la théorie de l’hystérie, l’école de la Salpetrière vient en modifier la place dans la pensée médicale. Elle révèle les limites du modèle anatomo-clinique en cours d’élaboration. Ce faisant, CHARCOT « donne dignité aux récits affectés du délire terminal ».
Car si, la grande crise en quatre phases a toujours été l’exception clinique qui a permis d’en fixer la description, LEPASTIER insiste sur l’importance accordée par CHARCOT au délire de mémoire de la quatrième phase, véritable « mode d’émergence du langage », qui en permettra le traitement. Le délire de mémoire opère le passage en mots du « délire en actions » de la troisième phase, dite des « attitudes passionnelles ».
FREUD a toujours admis sa dette à l’égard de CHARCOT, mais les critiques de BERNHEIM (concernant la suggestion et la place de l’hallucination négative dans la symptomatologie hystérique), l’orienteront ensuite vers la prise en compte du transfert comme élément central de relation médecin-malade.
Si l’on doit à BREUER la reconnaissance de la sexualité comme facteur essentiel de l’affection, FREUD insistera sur le fait que l’attaque n’est pas une décharge, mais la source d’un plaisir auto-érotique. L’élaboration commune des études sur l’hystérie lui permet de dégager l’importance de l’expression symbolique et le rôle du langage dans le lien causal entre fantasme et symptôme. Il abandonne alors l’hypnose, d’abord au profit de la suggestion, comme incitation au ressouvenir, puis, à la demande « Miss Lucy R.», sa patiente, il s’en tient à la seule association libre des idées. L’hystérie devient ainsi le « paradigme de la clinique psychanalytique ». Elle permet de dégager un penser inconscient qui se précisera ensuite avec « Dora », dont l’analyse met en relation vie fantasmatique et rêve. Les représentations inconscientes ont des effets somatiques malgré la perte apparente des fonctions comme le montre le « trouble psychogène de la vision ». A la fin de son œuvre, FREUD persiste : si l’attaque hystérique est l’expression de la lutte contre la féminité (quelque soit le sexe du patient), alors le processus analytique peut être compris comme un analogon de la crise. Le délire d’action de la phase des « attitudes passionnelles » exprimant le refus du féminin, il précède l’expression par la parole du délire de mémoire résolutif de la phase terminale.
De même, le hors-temps de l’inconscient ne peut-il être conçu en dehors des crises, tout à la fois modalités d’émergence et de remaniement du passé. Une série d’observations personnelles viennent éclairer ces différentes facettes de la clinique de la crise et appuyer la démonstration de l’auteur. Les moments de crise ne manquent pas dans la cure analytique mais le cadre, qui en limite l’expression motrice, favorise le passage au langage ; ainsi la crise, dans le dispositif analytique, se trouve-t-elle réduite à son délire terminal.
Si la psychanalyse introduit un changement radical dans la théorisation de l’hystérie, c’est qu’elle fait de la crise le paradigme de sa pratique. LEPASTIER propose, de manière originale, de théoriser sous cet angle la pratique lacanienne de la scansion. La séance, toujours interrompue au moment où surgit une expression affectée reproduit le mécanisme même du déclenchement de la crise, favorisant le retour à la conscience des représentations refoulées. Mais la phase des attitudes passionnelles se déroulera, du fait de la scansion, à l’extérieur de la séance. L’auteur critique cette position arguant que l’inquiétant de ce surgissement critique, pousse le sujet dans la voie d’une explicitation du traumatique de cette expérience, du côté d’un savoir glané hors séance, plutôt que dans un travail d’élaboration transféro-contre transférentiel avec l’analyste.
Un des intérêts de la position de l’auteur est de renouveler le débat concernant les état-limites. Les manifestations critiques, avec leur cortège de manifestations somatiques ou comportementales sont souvent comprises aujourd’hui comme l’expression de difficultés dans l’organisation symbolique et rattachées à un entre-deux structurel centré autour des carences de l’organisation narcissique. Cette pente tend à oblitérer l’aspect de satisfaction sexuelle infantile et auto-érotique que revêt la crise.
Si la crise hystérique a officiellement disparu du champ psychiatrique, c’est aujourd’hui du côté de la neurologie et des troubles somatiques les plus variés qu’il faut savoir la reconnaître. LEPASTIER souligne l’absurdité d’une démarche diagnostique médicale d’élimination, qui, cherchant à isoler les preuves objectives d’une maladie somatique avant d’oser poser le diagnostic d’hystérie, doit pousser les investigations toujours plus loin. Le coût économique en devient exorbitant et l’auteur plaide pour que le diagnostic d’hystérie redevienne un diagnostic positif sur des arguments cliniques qui intègrent le fonctionnement psychique et le transfert.
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Le deuxième tome de la thèse (dit : des annexes), permet au lecteur une vue d’ensemble de l’évolution des idées concernant l’hystérie. Elle montre la remarquable constance de la tension, entre fascination et exaspération, qui règle le pas de deux de l’hystérique (quelque soit son sexe) et de son médecin. La théorie dite de la « suffocation de la matrice », rationnalisée sous la représentation de la « boule hystérique », traverse les siècles et imprègne continûment les représentations médicales quelques soient les habillages successifs qu’ils prennent.
Il en va de même des relations entre la transe et la religion : l’acharnement des inquisiteurs a pour corollaire les aveux des sorcières. Si la transe ritualisée est une constante des pratiques mystiques (dans lesquelles le corps, le cri, le cœur des femmes ont un rôle central), celle ci doit être refoulée au profit de l’émergence d’une pensée religieuse rationalisée dans le monothéisme. Dans sa lutte contre la sorcellerie, l’inquisition, cherche à donner une apparence de raison à l’expression angoissante de la passion. Samuel LEPASTIER remarque que, dans sa quête de la vérité, l’inquisition ouvre pour la première fois la question de l’intersubjectivité tout comme celle de l’artéfact lié à la présence de l’observateur, première étape en direction de la prise en compte du transfert. Comment en effet s’assurer que les aveux ne sont pas de pure complaisance ? De même, l’insistance sur le pouvoir des sorcières à faire disparaître l’organe viril, apparaît-elle comme une première interprétation de l’hallucination négative au sens de BERNHEIM.
Des « possédées de Loudun » aux « convulsionnaires de la Saint Médard », l’auteur fait cette remarque surprenante du parallélisme entre la diffusion de l’imprimerie et la progression de l’inquisition. Sans l’imprimerie, dit-il, l’inquisition n’eut pas été en mesure d’assurer son œuvre de répression, laquelle s’appuie sur l’écart constaté entre les dires des accusé(e)s et le texte écrit. Celui-ci apparaît, dès lors, comme une référence intangible, la manifestation de la voix divine, gravée non plus dans le marbre mais dans le caractère d’imprimerie, à la diffusion tellement plus facile.
De SIDENHAM à JANET en passant par DARWIN, l’auteur brosse un tableau détaillé de l’évolution des conceptions théoriques de l’expression dans des émotions en particulier dans ses manifestations critiques, jusqu’à son « évanouissement » final dans la classification DSM. A l’encontre de cette évolution, pour Daniel WIDLOCHER c’est la régression formelle, liée à la condensation des représentations qui est à l’origine de la crise ; c’est elle qui permet de rendre compte du passage du psychique dans le somatique
Les transes rituelles et le chamanismes sont traités à part. Si toutes les religions ne disposant pas de l’écriture ont utilisé les transes chamaniques, celles-ci ne sauraient être rabattues sur de simples manifestations critiques individuelles sans tenir comte du contexte religieux et groupal dans lesquelles elles s’inscrivent et s’interprètent. La transe est alors le temps du renforcement du lien social et de la transmission des mythes. Là encore l’écriture, et plus encore l’invention de l’imprimerie, transforment en profondeur ces conceptualisations collectives du monde en fournissant une inscription indépendante de la trace mnésique et de sa transmission par la coutume orale.